L'Europe est confrontée à un défi existentiel ; une spirale du déclin s'est enclenchée qui voit les populations européennes renoncer à se reproduire et perdre progressivement confiance dans les valeurs pourtant si durement conquises, celles des Lumières : liberté individuelle, puissance de la raison, science repoussant la superstition et séparation de l'Eglise et de l'Etat. La survie de l'Europe passe par une refondation sur ces valeurs. (Source de l'image : Pixabay) |
« Il n'est pas à exclure que l'Europe finisse en musée ou en parc d'attractions culturel pour les nouveaux riches de la mondialisation. » Le regretté historien Walter Laqueur jugeait qu'un « indispensable pessimisme » était de rigueur pour enrayer la transformation progressive de l'Europe en parc culturel thématique. Laqueur a été l'un des premiers à comprendre que l'impasse du continent européen débordait largement l'économie. Les jours de la puissance européenne sont désormais comptés. En raison de son faible taux de natalité, l'Europe se réduit comme peau de chagrin. Si les tendances actuelles se poursuivent, a déclaré Laqueur, dans cent ans, la population européenne « ne sera plus qu'une fraction de ce qu'elle est aujourd'hui, et dans deux cents ans, certains pays auront même disparu. »
La « mort de l'Europe » se rapproche et devient visible au point d'être devenue un thème de prédilection des écrivains en vogue.
« A une époque où la littérature est de plus en plus marginalisée dans la vie publique, Michel Houellebecq surgit pour rappeler que les romanciers peuvent proposer un point de vue sur la société qui échappe aux commentateurs et aux experts », a écrit le New York Times sur le plus important auteur français. Houellebecq « parle » à travers ses romans les plus vendus, tels que Soumission, ou ses conférences publiques. La dernière conférence donnée par Houellebecq a eu lieu à Bruxelles, à l'occasion de la remise du prix Oswald Spengler, auteur de Le Déclin de l'Occident. « En résumé, a déclaré Houellebecq , « le monde occidental dans son ensemble se suicide ».
Pourquoi l'Europe est-elle si obsédée par son propre déclin démographie et par la grande fécondité de l'immigration en provenance d'Afrique ?
Dans le New York Times, Ross Douthat estime que « l'aide au contrôle de la population apportée par les pays occidentaux aux pays en développement » revient « au centre du débat » pour trois raisons au moins :
« Parce que le rythme des naissances en Afrique n'a pas ralenti aussi rapidement que les experts occidentaux l'avaient prévu ; parce que la démographie européenne va au tombeau selon la loi de Macron et que les dirigeants européens ne sont plus aussi optimistes quant à leur capacité d'assimilation des immigrants. »
Douthat se réfère à deux discours du président français, Emmanuel Macron. En 2017, Macron a qualifié les problèmes de l'Afrique de « civilisationnels » et a déploré que chaque mère se sente obligé de mettre au monde « sept ou huit enfants chacune ». Dans un second discours à la Fondation Gates, la semaine dernière, Macron a déclaré : « Présentez-moi la femme parfaitement éduquée qui a décidé d'avoir sept, huit ou neuf enfants. » La question que Macron a implicitement posée est la suivante : l'Europe peut-elle continuer de protéger ses propres citoyens instruits avec un faible taux de natalité tout en faisant face à immigration massive et fertile en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient ? Aux prises avec un conflit démographique qui l'oppose au reste du monde, l'Europe est donnée perdante.
L'Europe est ainsi confrontée à un défi existentiel ; une spirale du déclin s'est enclenchée qui voit les populations européennes renoncer à se reproduire au moment même ou elles multiplient les signes d'une perte progressive de confiance dans les valeurs des Lumières qu'elles ont si durement conquises, comme la liberté individuelle, la puissance de la raison, la science contre la superstition et la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
Ces valeurs sont essentielles si l'Europe souhaite véritablement survivre. Le distingué historien Victor Davis Hanson a récemment écrit :
« Au regard des grands déterminants historiques de la puissance des civilisations - carburant, énergie, éducation, démographie, stabilité politique et capacité militaire - l'Europe s'affaiblit. Elle ne dépense que 1,4% de son PIB pour la défense ... Et avec un taux de fécondité inférieur à 1,6%, l'Europe rétrécit lentement et vieillit, d'où la politique d'immigration à courte vue de Angela Merkel qui considère l'immigration comme une solution à la crise démographique et un raccourci vers une main-d'œuvre à faible coût. »
Cependant, comme l' écrit Walter Laqueur , « même si le déclin de l'Europe est irréversible, il n'y a aucune raison pour qu'il se transforme en effondrement ».
Peut-on éviter cet effondrement ?
Lors d'une récente réunion européenne, le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini, qui dirige le parti anti-immigration de la Ligue, a déclaré :
« Certains de mes collègues affirment que l'immigration est nécessaire pour compenser le vieillissement de la population, mais mon point de vue est complètement différent ... Je suis au gouvernement pour que nos jeunes fassent autant d'enfants qu'ils en faisaient il y a quelques années et qu'il ne soit pas nécessaire d'importer en Europe le meilleur de la jeunesse africaine. Peut-être qu'au Luxembourg, ils ont besoin d'immigrants, mais en Italie, nous devons aider la population à mettre davantage d'enfants au monde, plutôt que de faire venir (d'Afrique) des esclaves modernes qui remplaceront les enfants que nous n'avons pas. »
Face à la protestation du ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Jean Asselborn, Salvini a ajouté :
« Je réponds calmement à votre point de vue qui est différent du mien ... Si au Luxembourg vous avez besoin d'une nouvelle immigration, je préfère garder l'Italie pour les Italiens et recommencer à faire des enfants. »
Salvini a une claire vision de l'avenir de l'Italie. A conditions inchangées, la population italienne pourrait chuter à 16 millions d'habitants, contre 59 millions aujourd'hui. Cette projection inquiétante a été rendue publique cette année aux « Rencontres de la statistique et de la démographie » organisées en Italie, où le professeur Matteo Rizzolli de l'Université de Rome. Rizzoli a déclaré :
« Cela se produira dans cent ans et dans 20 ans nous aurons 8 millions d'habitants en moins. A continuer d'agir comme nous le faisons, le taux de natalité ne s'améliorera pas. »
L'establishment européen est aujourd'hui clivé entre les soi-disant « européistes », qui croient que l'immigration mettra fin à l'effondrement démographique de l'UE, et les « eurosceptiques » qui réclament des solutions locales adaptées. Coté eurosceptique, le premier ministre hongrois Viktor Orbán, par exemple, a appelé les Européens à enrayer le « déclin démographique » en investissant dans les familles traditionnelles. Versant européiste, l'archevêque catholique italien Gian Carlo Perego a déclaré :
« Le défi de l'Italie est de réconcilier un pays en train de mourir avec des jeunes venus d'ailleurs, afin de commencer une nouvelle histoire. Si nous fermons notre porte aux migrants, nous allons disparaître. »
Dans une interview au Times de Londres, Salvini a proposé une autre idée:
« Un pays qui ne fait pas d'enfants est destiné à périr ... Nous avons créé un ministère de la famille chargé d'améliorer la fécondité, d'accroître le nombre de crèches, et de repenser la fiscalité en prenant en compte les familles nombreuses. Au terme de ce mandat, le gouvernement sera jugé sur le nombre de nouveau-nés plus que sur sa dette publique ».
Selon Salvini, l'enjeu démographique inclut « la tradition, l'histoire, l'identité » de l'Italie ; la gauche elle, utilise la crise de la fécondité comme « alibi » pour « importer des migrants ».
Un autre évêque catholique, Andrew Nkea Fuanya, de Mamfé au Cameroun, a récemment déclaré à propos du faible taux de natalité en Europe :
« C'est un immense problème, notamment – et j'ose le dire -dans le contexte de l'invasion islamique. L'histoire nous apprend que chaque fois que l'Église s'est endormie, chaque fois que l'Eglise s'est détournée des Évangiles, l'Islam a refait surface. C'est ce qui arrive à l'Europe, l'Eglise est endormie et l'Islam s'insinue ... L'Europe s'islamise et cela affectera l'Afrique. »
Le déclin de l'Europe et sa transformation se remarquent également en France. De nouvelles données de l'Institut national de la statistique et des sciences économiques (Insee) ont récemment indiqué que Mohammed et plusieurs autres prénoms musulmans traditionnels figurent désormais en tête de la liste des prénoms les plus populaires du département de Seine-Saint-Denis (1,5 million d'habitants). Deux journalistes du journal Le Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, viennent de publier un livre intitulé Inch'allah: l'islamisation à visage découvert, une enquête sur « l'islamisation » du département de Seine-Saint-Denis.
En juillet, une enquête de l'hebdomadaire L'Express, a révélé qu' « Entre 2000 et 2016, la part des enfants ayant au moins un parent étranger est passée de 15 à 24 % ». Die Welt a indiqué que, selon l'Office fédéral de la statistique, 42% des enfants de moins de six ans nés en Allemagne de l'Ouest sont désormais issus de l'immigration.
L'immigration massive et non contrôlée en Europe semble avoir fait plus de mal que de bien. Walter Laqueur a écrit :
« ... l'immigration incontrôlée n'est pas la seule raison du déclin de l'Europe. Mais, ajoutée aux autres malheurs du continent, elle a entraîné une crise profonde ; seul un miracle pourrait sortir l'Europe de cette situation difficile. »
Matteo Salvini et Michel Houellebecq ont tous deux souligné que le vieillissement de l'Europe et son usure intellectuelle et morale ne relèvent pas de tactiques électorales ou partisanes ; c'est un défi civilisationnel. La réponse qui sera apportée décidera de l'avenir de l'Union européenne que l'actuelle politique de frontières ouvertes pourrait éliminer.
Le temps presse. Comme Houellebecq l'a déclaré dans un discours au prix Frank Schirrmacher :
« ... la progression de l'islam n'en est qu'à ses débuts, parce que la démographie est de son côté, et que l'Europe , en cessan t de faire des enfants, s'est engagé dans un processus de suicide. Et ce n'est pas vraiment un suicide lent. Lorsqu'on on en arrive à un taux de fécondité de 1,3 ou 1,4, les choses, en réalité, vont assez vite ».
Giulio Meotti, journaliste culturel à Il Foglio, est un journaliste et auteur italien.