Sur la photo: Ashiq Masih, mari d'Asia Bibi au côté de sa fille Eisham Ashiq, tous deux en campagne pour la libération d'Asia en 2015. (Source de l'image: HazteOir / Flickr) |
La joie de l'acquittement d'Asia Bibi n'aura pas duré 24 heures. Cette chrétienne du Pakistan mère de cinq enfants, aura été incarcérée huit années durant, dans le couloir des condamnés à mort, avant que la Cour suprême ne la lave de l'accusation de "blasphème » qui pesait sur elle.
Selon l'Agence France Presse (AFP), Asia Bibi aurait demandé au téléphone : « Je n'en crois pas mes oreilles, vais-je être libérée ? Vont-ils vraiment me laisser sortir ? ».
Malheureusement, des manifestations de masse organisées par des extrémistes musulmans ont immédiatement éclaté pour que le gouvernement reporte la libération d'Asia Bibi. Dans certaines zones du pays, le réseau téléphonique a été suspendu pour raisons de « sécurité ». Des émeutes à Islamabad, au Pendjab et au Cachemire ont obligé les écoles à fermer. Des rues ont été bloquées paralysant des quartiers entiers d'Islamabad, de Lahore et de bien d'autres villes du Pakistan. Les écoles chrétiennes ont recommandé aux parents de garder leurs enfants à la maison de crainte d'actes de violence. Les églises ont été mises en alerte maximale. Les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Pendez Asia Bibi ».
« S'ils envoient Asia hors du pays, il y aura la guerre », a averti Khadim Hussain Rizvi, dirigeant du Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un parti islamiste qui défend les lois sur le blasphème.
Les menaces des milices islamistes d'organiser des troubles à l'échelon national si Asia Bibi était libérée ont évidemment fonctionné. Le gouvernement pakistanais qui a déclaré qu'il empêcherait Asia Bibi de quitter le pays, est désormais accusé de signer son « arrêt de mort ».
Cédant aux pressions de Tehreek-e-Labbaik, le gouvernement pakistanais a promis de ne pas s'opposer à une requête légale réclamant l'annulation de la libération d'Asia Bibi. Ce même gouvernement a aussi approuvé l'inscription d'Asia sur la « liste de contrôle de sortie" (ELC), une liste des personnes interdites d'avion et qui empêche certains suspects de quitter le pays.
« Inscrire Asia Bibi sur la liste de contrôle de sortie équivaut à signer son arrêt de mort », a déclaré Wilson Chowdhry de l'Association des chrétiens anglo-pakistanais.
« Cet accord » a twitté l'analyste Mosharraf Zaidi, est une « capitulation historique ».
« Il est quasi évident que Bibi ne pourra plus vivre au Pakistan après son acquittement », a écrit le célèbre romancier pakistanais Mohammed Hanif dans le New York Times.
« [L'] empêcher de quitter le pays est une autorisation tacite donnée à Tehreek-i-Labaik pour la pourchasser et l'assassiner », a écrit Robert Spencer, défenseur des droits de l'homme, auteur de 18 livres, dont certains ont figuré sur la liste des best-sellers du New York Times .
Le mari d'Asia Bibi, Ashiq Masih, vient de demander l'asile aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. « Je demande l'aide du Premier ministre britannique et, dans la mesure du possible, je lui demande de nous accorder la liberté », a-t-il déclaré . « Je demande au président des États-Unis, Donald Trump, de nous aider à sortir du Pakistan », a-t-il ajouté. Le pacte entre les islamistes et le gouvernement est en effet une trahison. « L'accord m'a fait froid dans le dos », a déclaré Masih. « La situation actuelle est très dangereuse pour nous. Nous vivons dans l'insécurité, nous nous cachons ici et là, et nous passons d'un refuge à un autre. »
Le sort d'Asia Bibi est aujourd'hui plus qu' « incertain ».
Le Pakistan, un pays de 197 millions d'habitants – dont 97% de musulmans -, doté de l'arme nucléaire et allié de l'Occident a été frappé de folie après l'acquittement d'une chrétienne. Non seulement le système judiciaire pakistanais a torturé Asia Bibi pendant huit ans, l'enfermant seule dans une cellule sans fenêtre, mais, au lendemain de son acquittement, des milliers de personnes proclament qu'elles sont prêtes à l'assassiner.
Les islamistes voient dans l'acquittement d'Asia Bibi une victoire pour un Pakistan ouvert, une défaite de la charia et un début d'espoir pour les chrétiens persécutés de la région. Le calvaire de cette femme montre clairement à quel point l'état de droit a été rompu au Pakistan. Selon Amnesty International:
« Les lois pakistanaises sur le blasphème sont générales, vagues et coercitives. Elles ont été utilisées pour cibler les minorités religieuses, autoriser des vendettas personnelles et légaliser des actions violentes. Même en l'absence de preuves, les accusés ont du mal à prouver leur innocence pendant que des foules violentes et en colère vont chercher à intimider la police, les témoins, les procureurs, les avocats et les juges. »
Dans la liste des attaques récentes contre des chrétiens au Pakistan, on compte la mise à sac d'une église à Quetta qui a coûté la vie à 9 personnes en décembre 2017 ; un attentat-suicide qui a couté la vie à 70 chrétiens qui célébraient Pâques sur une pelouse de Lahore en mars 2016 ; deux attentats à la bombe contre des églises de Lahore qui ont fait 14 morts en mars 2015 ; un double attentat suicide à la bombe qui a fait près de 80 morts dans une église de Peshawar en 2013, et près de 40 maisons incendiées ainsi qu'une église et huit personnes brûlées vives au cours d'une émeute à Gojra au Pendjab en 2009. En mars dernier, un tribunal pakistanais a acquitté 20 personnes qui ont contribué à brûler vif un couple de chrétiens faussement accusé de "blasphème". Le couple chrétien a été torturé et les corps ont été incinérés dans un four à briques.
« Décapitons les blasphémateurs ! » ont scandé des musulmans extrémistes dans les rues du Pakistan après l'acquittement d'Asia Bibi. Saif Mulook, son avocat, a déjà fui le pays, craignant pour sa vie. Il a ajouté qu'il ne regrettait pas les risques qu'il encourait. « Il est préférable de mourir en homme courageux et fort plutôt que de vivre terré de peur dans un trou de souris » a-t-il déclaré.
Les juges musulmans qui ont acquitté Asia Bibi, Mian Saqib Nasir, président de la Cour suprême et le juge Asif Khosa, ont également été menacés de mort. Conscients des risques qu'ils ont pris, ils ont bravement passé outre et ont accepté de devenir la cible des milices islamistes.
« Ils méritent tous les trois d'être tués », a déclaré un dirigeant islamiste, Muhammad Afzal Qadri, lors d'une manifestation à Lahore. « Leurs agents de sécurité doivent les tuer, leur chauffeur doit les tuer, leur cuisinier doit les tuer ... Quiconque peut les approcher, doit les tuer avant le coucher du soleil ».
Asia Bibi risque tous les jours d'être assassinée. Les responsables de la prison ont révélé que pas plus tard que le mois dernier, peu avant son acquittement, deux détenues qui étaient sur le point d'étrangler Asia Bibi ont été arrêtées. Depuis 1990, 62 personnes ont été assassinées au Pakistan sur accusation de « blasphème ».
Salman Taseer, le courageux gouverneur musulman de la province du Pendjab, a payé de sa vie le soutien qu'il a apporté à Asia Bibi. Il a été assassiné par son propre garde du corps, lequel a déclaré : « J'ai tué Taseer parce qu'il défendait les amendements à la loi sur le blasphème ». Le meurtrier de Taseer, Malik Mumtaz Qadri, condamné à mort pour son crime, est aujourd'hui un héros et un « martyr » au Pakistan. Une mosquée porte son nom, des gens sont venus le voir en prison accompagnés de leurs enfants et ses chansons enregistrées sur CD continuent d'être diffusées dans le pays.
Si Asia Bibi devait finir assassinée, il s'agirait d'une défaite gigantesque pour tout type de procédure judiciaire et d'une énorme victoire contre les chrétiens - comparable à l'expulsion des chrétiens d'Irak.
À ce stade, le pire est à craindre pour Asia Bibi, comme pour les autres chrétiens d'Asie. En Occident, cette chasse au chrétien semble ne susciter que des bâillements. Une semaine de quasi-émeutes et de menaces de mort n'ont pas incité les Européens à descendre dans la rue en faveur de la libération d'Asia Bibi. Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève, généralement très virulent, n'a émis aucune résolution en sa faveur. Le Pakistan semble n'avoir fait l'objet d'aucune pression pour que cette femme soit libérée et que sa sécurité soit assurée. Aucune conférence n'a été convoquée par des fonctionnaires de l'UE à Bruxelles ou à Strasbourg.
Les gouvernements européens et occidentaux devraient déployer tous leurs efforts pour la sauver. Ils devraient lui offrir la citoyenneté d'honneur, comme l'a fait la ville de Paris en 2015. Une ambassade étrangère devrait lui offrir sa protection. Et surtout, l'asile devrait lui être accordé dans une démocratie occidentale.
Au cours des dernières années, le Pakistan a joué un rôle pilote dans les tentatives des islamistes d'attenter à la liberté d'expression en Occident. Les extrémistes islamistes se sont déchaînés quand le journal danois Jyllands Posten a publié des caricatures de Mahomet. En août dernier, Geert Wilders, président du Parti pour la liberté (PPV) aux Pays-Bas, a annulé un concours de caricatures de Mahomet après que des manifestations de grande ampleur aient éclaté au Pakistan. Après l'attentat contre le magazine satirique français Charlie Hebdo, de violentes émeutes ont éclaté au Pakistan. Un ministre pakistanais a offert une prime de 100 000 dollars pour le meurtre du producteur du film « L'Innocence des musulmans ». Le mot « blasphème », qui plane sur la tête d'Asia Bibi, est le même que celui utilisé par les extrémistes musulmans pour viser l'Occident.
Les juges qui ont acquitté Asia Bibi ont déclaré : « pour reprendre les mots du roi Lear de Shakespeare, elle semble être une personne, « contre qui l'on a péché plus qu'elle n'a pêché ».
L'Occident se lèvera-t-il pour aider cette chrétienne persécutée ? Elle est nous.
Giulio Meotti, éditeur culturel à Il Foglio, est un journaliste et auteur italien.