Les rencontre du président des États-Unis, Donald Trump, avec plusieurs dirigeants des Caraïbes avaient pour but de bien marquer l'engagement de Washington dans cette région. Mais les projets américains mériteraient d'être mieux financés car ils ne sont pas à la hauteur des défis que pose la Chine. Dans les Caraïbes, le commerce et les investissements ont donné à Pékin une réelle puissance. Photo : le président Trump et Mélania Trump accueillent les dirigeants des Caraïbes à Mar-a-Lago à Palm Beach, en Floride, le 22 mars 2019. (Photo officielle de la Maison Blanche par Tia Dufour) |
Une avis de « Tempête Rouge » (du nom d'un roman à succès de Tom Clancy) a surgi à quelques kilomètres des côtes américaines. « En fait, tout l'hémisphère est en feu », a affirmé Lou Dobbs, le 4 avril, sur le plateau de son émission très regardée sur Fox Business Network. « La Chine et la Russie nous posent un problème presque chaque trimestre dans cet hémisphère. La Russie et la Chine au Venezuela, mais la Chine dans la totalité de l'hémisphère et dans les Caraïbes ».
De fait, l'influence de la Chine grandit rapidement dans tout l'espace Caraïbes. Par le commerce et les investissements Pékin s'érige en nouveau pouvoir. Les motivations chinoises n'ont rien d'anodin et ne se bornent pas au commerce.
L'île de New Providence, aux Bahamas est une bonne illustration du phénomène. En 2011, la Banque d'import-export de Chine a accordé un prêt de 2,45 milliards de dollars (2,1 milliards d'euros) pour la construction d'une station balnéaire à Baha Mar, près de Nassau, la capitale. Le projet qui cumule les problèmes depuis le début, est le plus grand et le plus coûteux de toutes les Caraïbes.
La taille du projet surprend et l'immense intérêt économique que la Chine porte à la région Caraïbe a de quoi intriguer. Comme le souligne Evan Ellis du collège de guerre de l'armée américaine, l'investissement de la Chine dans les Caraïbes est plus important par habitant que dans le reste de l'Amérique latine. La région Caraïbe a peu de ressources naturelles et le marché pour les produits chinois est minuscule. Ainsi que Ellis l'a déclaré à Roll Call, « Au regard des montants investis, il est clair que ce n'est pas vraiment le marché ou les ressources qui les intéressent. »
Quelle peut bien être la motivation de la Chine ? Un autre investissement important aux Bahamas apporte un indice.
À environ 55 miles à l'est de Palm Beach, sur l'île de Grand Bahama, une entreprise de Hong Kong est en train d'investir près de 3 milliards de dollars dans l'aménagement d'un port en eau profonde capable d'accueillir des porte-conteneurs, le Freeport Container Port.
Freeport passe pour être en mesure de tirer parti du trafic accru que devrait générer l'élargissement du canal de Panama. Il est toutefois à craindre que le projet ne succombe au surendettement comme à Hambantota au Sri Lanka. En décembre 2017, le port de Hambantota s'est retrouvé incapable de régler les intérêts des crédits importants et à taux élevés que le gouvernement avait contracté auprès d'établissements financiers chinois. Résultat, la Chine est aujourd'hui propriétaire à 70% de Hambantota, contrôle assorti d'un bail de 99 ans. La prise de contrôle était inévitable tant le projet a été mal conçu au départ.
Hambantota finira-t-il en base navale chinoise ? Les amiraux chinois considèrent depuis longtemps le Sri Lanka comme un emplacement stratégique. En septembre et en octobre 2014, le gouvernement sri-lankais a déjà autorisé un sous-marin chinois à accoster au Port international de porte- conteneurs de Colombo lui aussi financé par la Chine. Le Pentagone devra-t-il faire face à des navires de guerre chinois à Freeport ?
L'armée chinoise est déjà présente dans les Caraïbes, à Cuba. Selon un rapport d'octobre 2018 de la Commission chargée des questions liées au commerce et à la sécurité entre la Chine et les Etats-Unis, du personnel chinois occupe à Lourdes, Bejucal et Santiago de Cuba d'anciennes installations de renseignements datant de l'époque soviétique. Tout comme les Russes à l'époque, les Chinois mènent une mission permanente d'information sur les États-Unis.
La présence chinoise à Bejucal, au sud de La Havane, apparait particulièrement préoccupante. Les images satellites montrent qu'un nouveau radôme (dôme en plastique) a été installé pour protéger le radar, et cet équipement pourrait bien être d'origine chinoise. La détection d'une présence chinoise à Bejucal n'est pas récente. En 2016, Marco Rubio, sénateur républicain de Floride, a évoqué publiquement « la station d'écoute chinoise de Bejucal ».
Evan Ellis, dans un podcast avec Bonnie Glaser du Centre d'études stratégiques et internationales (CESI), a déclaré que Beijing accordait à la mer des Caraïbes la même importance stratégique qu'à la mer de Chine méridionale. Ce qui expliquerait l'intérêt à priori surprenant de la Chine envers les 13 États insulaires et les 17 « territoires dépendants » - autrefois appelés « colonies » - de la région.
Cet intérêt des Chinois pour les Caraïbes éclaire la déclaration publique acerbe du chargé d'affaires chinois aux Bahamas, Haigang Yin, le mois dernier. Quelques jours avant que le président américain, Donald Trump, ne se réunisse le 22 mars à Mar-a Lago, avec cinq dirigeants de la zone Caraïbes, y compris les Bahamas, Yin a accusé les États-Unis de « torpiller les liens de solidarité et de coopération qui existent entre la Chine et les pays en développement ».
L'arrogance chinoise coupe aujourd'hui le souffle. Contre la volonté de Beijing, Trump a rencontré les dirigeants des Caraïbes. Washington porte un intérêt accru au dossier, mais son investissement dans la région n'est pas à la hauteur des défis de la Chine. Trish Regan, présentatrice de Fox Business, a déclaré lors de son émission en prime-time le 5 avril : « Il faut remonter à la crise des missiles de Cuba en 1962, pour se retrouver avec un tel ennemi dans notre propre hémisphère. »
Jusqu'à présent, l'Amérique avait quasiment abandonné la zone Caraïbes. Selon l'expression convenue, les Caraïbes étaient tout à la fois « trop démocratiques et pas assez pauvres » pour attirer l'attention des États-Unis. Mais au plan stratégique, cette zone est toujours considérée comme la « troisième frontière » et le « ventre mou » des Etats Unis.
Un ventre mou qui est en passe d'être restructuré par la manne des capitaux chinois. Ainsi, cinq pays de la région - Trinité-et-Tobago, la Grenade, la Dominique, Antigua-et-Barbuda et la République dominicaine - ont adhéré à l'ambitieuse initiative de Beijing « Belt and Road », un plan d'infrastructure destiné à mieux connecter entre elles les routes commerciales mondiales de la Chine.
Mais plus Beijing lance d'initiatives dans la région, plus les craintes grandissent de voir ces pays « piégés par la dette », comme au Sri Lanka. L'administrateur de l'USAID, Mark Green, a raison de qualifier les crédits de Beijing de « financements prédateurs ». Mais les mises en garde américaines risquent d'avoir peu d'écho si les États-Unis n'offrent pas d'alternatives, a souligné Margaret Myers de l'Inter-Américan Dialogue à Roll Call.
Après la réunion de Trump et des dirigeants des Caraïbes à Mar-a-Lago, les États-Unis ont promis d'envoyer une délégation dans la région. Par ailleurs, le département d'État a concocté son propre plan, intitulé « Caraïbes 2020 ». Mais les noms ont beau être accrocheurs, les programmes américains n'auront pas d'existence sans beaucoup d'argent.
Aujourd'hui, Washington dépense beaucoup au Moyen-Orient, mais les responsables politiques américains devraient de toute urgence se préoccuper des besoins de certaines zones stratégiques situées à leurs portes.
Gordon G. Chang est l'auteur de The Coming Collapse of China et Distinguished Fellow du Gatestone Institute.