Le récent mouvement des "gilets jaunes" – ils manifestent tous les samedis à Paris depuis novembre 2018 - est un symbole de la division entre la classe ouvrière française et les progressistes gentrifiés. Photo : des manifestants "gilets jaunes" occupent les marches menant à la basilique du Sacré-Cœur le 23 mars 2019 à Paris, en France. (Source image : Kiran Ridley/Getty Images) |
« Pour ce qui est de la France en 2019, nul ne peut nier qu'une transformation capitale et hasardeuse, un "Grand changement", est désormais en cours », a déclaré Michel Gurfinkiel, président-fondateur de l'Institut Jean-Jacques Rousseau. Il a déploré « le décès de la France en tant que pays, ou plutôt en tant que nation occidentale et judéo-chrétienne ce qu'elle a été jusqu'à présent ». Une couverture récente de l'hebdomadaire Le Point décrivait le phénomène comme « le grand bouleversement ».
Grand changement ou bouleversement, les jours de la France telle que nous l'avons connue sont comptés ; la société a perdu son centre de gravité culturel ; l'ancien mode de vie s'estompe et semble en voie d'extinction. La "francité" disparaît au profit d'enclaves balkanisées incapables de communiquer entre elles. Pour le pays le plus touché par le fondamentalisme islamique et le terrorisme, ce n'est pas une bonne recette.
Le grand changement français est également de nature géographique. La France apparait désormais divisée en « ghettos pour les riches » et « ghettos pour les pauvres », selon une analyse de la carte électorale publiée par le journal Le Monde. « Dans le secteur le plus pauvre, six ménages sur dix nouvellement installés ont une personne de référence née à l'étranger » note Le Monde. Des abysses séparent désormais la France périphérique - petites villes, banlieues et zones rurales - des métropoles mondialisées où résident les « bourgeois bohèmes » ou « bobos ». Plus les élites françaises pratiquent un entre-soi doré sur le plan financier et culturel dans des enclaves résidentielles fermées, moins elles se donnent les moyens de comprendre l'impact quotidien de l'immigration de masse et du multiculturalisme.
Un récent sondage européen a mis en perspective ces « deux Frances qui ne se croisent ni ne se parlent ». Analysant les résultats du parti du Rassemblement national de Marine Le Pen et ceux du président Emmanuel Macron, Sylvain Crépon de l'Université de Tours a observé que les deux partis parlent à des groupes sociologiques complètement différents. En banlieue parisienne - Aulnay-sous-Bois, Sevran, Villepinte et Seine-Saint-Denis -, le Rassemblement national d'extrême droite connaît un essor fulgurant. Dans les grandes villes, Marine Le Pen est en bas du classement : elle a terminé cinquième à Paris, troisième à Lille, quatrième à Lyon. Selon Crépon :
« [Ces] villes sont protégées du vote du Rassemblement National par leur structuration sociologique. Cela accrédite le discours populiste qui diagnostique une élite déconnectée. L'idée d'une rupture sociologique, n'est pas complètement fausse ».
D'un côté de la fracture, on trouve des villes comme Dreux, que Valeurs Actuelles a baptisée « la ville qui préfigure la France de demain »:
« D'un côté une cité royale, vestige d'une histoire plus que millénaire, de l'autre des cités gangrenées par les trafics et l'islam. Les bourgeois du centre-ville votent pour Macron ; les "petits Blancs" déclassés ne jurent que par Le Pen ».
De l'autre côté de la fracture, il y a Paris. « Toutes les métropoles du monde connaissent le même sort. C'est là où les richesses coulent et que se noue l'alliance des « vainqueurs de la mondialisation » et de leurs « serviteurs », des immigrants venus se placer au service des nouveaux maîtres du monde, garder leurs enfants, livrer leurs pizzas ou travailler dans leurs restaurants », écrit Èric Zemmour dans Le Figaro. Il ajoute que « Paris est une ville mondiale, pas vraiment une ville française ».
Les « classes supérieures mondialisées [bourgeoises-bohèmes] », selon l'expression de Christophe Guilluy, sociologue français parmi les plus respectés, se calfeutrent dans leurs « nouvelles citadelles » - comme à l'époque de la France médiévale - et votent en masse pour Macron. Ces bobos ont développé « une manière unique de parler et de penser ... qui permet aux classes dominantes de substituer la fable d'une société aimable et accueillante à la réalité d'une nation soumise à un stress sévère ». Guilluy a été férocement critiqué par certains médias français pour avoir abordé cette réalité.
Le mouvement des "gilets jaunes" – qui manifestent tous les samedis à Paris depuis novembre 2018 contre les réformes du président Macron - est un symbole de cette division entre classe ouvrière et progressistes embourgeoisés. Selon Guilluy, c'est le « choc social et culturel » d'aujourd'hui. Le philosophe français Alain Finkielkraut ajoute que le choc est aussi celui de « la laideur de la France périphérique et ses effets sur des vies concrètes, la tristesse de cette classe ouvrière qui a perdu non seulement son niveau de vie, mais également ses références culturelles ». En France, le sentiment de « dépossession » est désormais omniprésent.
Le parti de Marine Le Pen est arrivé en tête dans plus de deux fois plus de départements que Macron. Le Pen s'est imposé dans les zones dépressives et désindustrialisées du nord, du centre-sud et de l'est de la France qui ont donné naissance aux gilets jaunes.
« Depuis mon arrivée en France en 2002, j'ai vu le pays achever une révolution culturelle complète », écrivait récemment Simon Kuper dans le Financial Times.
« Le catholicisme est moribond (seulement 6% des Français assistent à la messe), mais pas autant que son rival religieux de longue date, le Parti communiste français. La population non blanche n'a cessé de croître ».
Selon Kuper, Macron est le symbole d'une « nouvelle société individualisée, mondialisée et irréligieuse ».
La sortie de la France du catholicisme est si évidente qu'un nouveau livre, L'archipel français: Naissance d'une nation multiple et divisée du sondeur Jérôme Fourquet, a décrit l'échec culturel de la société française comme celui d'une « ère postchrétienne » : la sortie de la société française hors de sa matrice catholique est quasiment achevée. Le pays, affirme Fourquet, met en œuvre sa propre déchristianisation. Et un substitut puissant pointe à l'horizon. Selon une nouvelle étude universitaire, la France compte aujourd'hui autant de musulmans que de catholiques parmi les 18-29 ans en France ; et les musulmans représentent 13% de la population des grandes villes de France, soit plus du double de la moyenne nationale.
Les communautés musulmanes semblent avoir tiré parti de cette fragmentation sociologique en créant leurs propres « ghettos de la charia ». Une étude de l'Institut Montaigne intitulée « La fabrique de l'islamisme », a détaillé la radicalisation de la société musulmane française. Au lieu de l'intégration, de l'assimilation et de l'européanisation, les extrémistes musulmans en France travaillent au multiculturalisme, à la séparation et à la partition. Gilles Kepel, dans son livre La Fracture, affirme que les enclaves d'immigrés aux confins des villes françaises fomentent « une rupture avec les valeurs de la société française et affichent une volonté de les subvertir ». « Les gens ne veulent pas vivre ensemble », a déclaré Gérard Collomb, ancien ministre français de l'Intérieur.
Cette "fracture" se remarque également au fait que « quatre garçons sur dix de Seine-Saint-Denis ont des prénoms arabo-musulmans ». Le sondeur Jérôme Fourquet a révélé dans une nouvelle étude que « 18% des nourrissons nés en France portent un nom arabo-musulman ».
Le « Grand changement » français est en cours. Pour conclure, laissons la parole au philosophe Alain Finkielkraut : « L'incendie de Notre-Dame n'est ni une attaque ni un accident, c'est une tentative de suicide. »
Giulio Meotti, éditeur culturel pour Il Foglio, est un journaliste et auteur italien.