Les hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur en Allemagne ont exhorté leur ministre Thomas de Maizière à créer un « Centre de lutte contre la Désinformation » (Abwehrzentrum gegen Desinformation) pour lutter contre ce qu'ils appellent « la désinformation politique », un euphémisme pour les « fausses informations ».
« L'acceptation d'une ère post-vérité équivaudrait à une capitulation politique, » ont-ils déclaré à de Maizière dans une note, qui révèle également leur impatience de bureaucrates de voir définie « une communication politique authentique » pour « le 21e siècle ».
Par « communication politique authentique », les fonctionnaires du ministère de l'intérieur se réfèrent-ils à la façon dont les autorités allemandes se sont précipitées pour dissimuler les agressions sexuelles de masse qui ont eu lieu à Cologne à la veille du Nouvel An ? Dans la matinée du 1er Janvier 2016, la police allemande avait publié un communiqué surréaliste, indiquant que la situation le soir du Nouvel An avait été « détendue ». Bien plus tard, le chef de la police de Cologne, Wolfgang Albers, a fini sèchement par admettre que « la déclaration initiale était incorrecte ». A moins que les conseillers de de Maizière ne se réfèrent à la décision du radiodiffuseur public ZDF, de n'informer sur les attaques de Cologne que quatre jours après les faits ? Un ancien ministre de l'Intérieur de la chancelière Angela Merkel, Hans-Peter Friedrich (2011-2013) a sur le moment, accusé les médias d'imposer une « blackout sur l'information » et d'utiliser un « code du silence » sur toute information négative concernant les migrants. Et si ces exemples ne sont pas pertinents, que peut bien signifier « communication politique authentique » ?
« Compte tenu des [prochaines] élections fédérales, nous devons agir très rapidement et combattre les fausses nouvelles » ont également indiqué les fonctionnaires du ministère de l'intérieur à leur ministre.
Avec cette note, les bureaucrates du ministère de l'intérieur ont laissé percer leurs craintes que la chancelière Angela Merkel ne soit pas réélue en septembre 2017 ; pour éviter ce scénario, ils prônent les grands moyens, quitte à restreindre la liberté d'expression en mettant en place un bureau officiel de propagande d'Etat. Le débat actuel sur les « fausses nouvelles » est une excuse commode.
L'idée de restreindre la liberté d' expression n'a rien de nouveau en Allemagne. Déjà en septembre 2015, Merkel a déclaré : « quand les gens tiennent des propos séditieux sur les réseaux sociaux en utilisant leur vrai nom, non seulement l'État doit agir, mais aussi Facebook qui, en tant qu'entreprise à un rôle à jouer. »
Dans le cadre d' un programme gouvernemental monté avec l'aide de la Fondation Amadeu Antonio, une ONG dirigée par Anetta Kahane (qui non sans ironie est une ancienne agente de la Stasi et une moucharde), les autorités allemandes ont entrepris de mesurer le nombre de posts catalogués comme « racistes » que Facebook supprime chaque 24 heures. Heiko Maas, ministre de la Justice a promis d'envisager des mesures législatives si les résultats ne se révèlent pas « satisfaisants ». Le programme doit fonctionner jusqu'en mars 2017.
Un couple marié, Peter et Melanie M., ont été poursuivis et condamnés en juillet 2016 pour avoir monté un groupe Facebook sur la politique migratoire du gouvernement. Sur leur page on pouvait lire : « la guerre et les réfugiés économiques envahissent notre pays. Ils apportent la terreur, la peur, la tristesse. Ils violent nos femmes et de mettre nos enfants en danger. Que cela cesse » ! Par ailleurs, en juillet 2016, 60 personnes suspectes d'avoir tenu des propos en ligne relevant du « discours de haine » ont eu leur domicile perquisitionné par la police allemande.
Aucun des cas énumérés ci-dessus n'a été jugé suffisant par le président du Bundestag, Norbert Lammert, du parti CDU d'Angela Merkel, qui estime aussi que l'action que mène Facebook est insuffisante. Cet élu de la CDU réclame des mesures législatives. Volker Kauder, chef du groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag et Thomas Oppermann, président du groupe parlementaire du Parti social-démocrate (SPD) ont d'ailleurs annoncé l'élaboration d'une loi instituant des amendes pour les réseaux sociaux qui n'effaceraient pas assez rapidement « les messages de haine » et les « fausses nouvelles ».
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a également réclamé que des sociétés comme Facebook soient mises en demeure de répondre des « fausses annonces » qu'elles véhiculent sur Internet, affirmant que les Européens sont de plus en plus « sensibles à ce qui est flottant autour d'eux et qui leur dit la vérité ».
Toutes ces déclarations ont bien entendu le ferme soutien de Merkel. Dans un discours prononcé le 23 novembre au Bundestag, elle a déclaré :
« Je soutiens les efforts déployés par le ministre de la Justice Heiko Maas et le ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière pour se saisir de la question du discours de haine, des commentaires haineux, de toutes ces choses dévastatrices incompatibles avec la dignité humaine, et de tout faire pour l'interdire parce que ce sont nos valeurs qui sont menacées ».
Les « valeurs » dont Merkel se réclament sont en réalité très circonscrites : pour le gouvernement allemand lutter contre le « discours de haine » consiste à priver de légitimité toute critique de la politique d'immigration du gouvernement.
Quand une vague d'antisémitisme a balayé les grandes villes allemandes au cours de l'été 2014, le gouvernement allemand n'a pas développé de zèle antiraciste particulier. Dans certains cas, les autorités ont même facilité l'expression du discours de haine. En juillet 2014 par exemple, la police de Francfort a autorisé les « manifestants » principalement musulmans, à utiliser les mégaphones de leur camionnette pour scander des slogans haineux en arabe, y compris le fameux « Allahu Akbar » et d'autres encore qui accusaient les Juifs d'être des « tueurs d'enfants ».
Ajoutons à cela qu'un tribunal de Wuppertal a estimé que la bombe incendiaire lancée contre une synagogue par deux Allemands d'origine arabe et un complice mineur n'avait rien d'un acte antisémite. Le juge a estimé qu'il s'agissait d'« un acte de protestation » destiné à « attirer l' attention sur la guerre de Gaza » .Les inculpés ont été reconnus coupables d'incendie criminel.
En Allemagne, est jugé criminel tout ce qui attire l'attention sur les conséquences de la politique migratoire du gouvernement, c'est la critique de ces politiques qui relèverait du « discours de haine ». En revanche, incendier une synagogue devient un « acte de protestation ». Une fois que le « Centre de lutte contre la Désinformation » sera mis en place, ces « actes de protestation » seront sans doute étiquetés « Communication non-fausse officiellement approuvée. »