Un article passionnant par son sujet fut posté le 4 septembre dernier sur le site du think tank « Institut des libertés » par Charles Gave, qui est un financier renommé. Dans ce texte, Gave pose la question : la population « native » d'Europe — expression par laquelle il désigne la population blanche — est-elle condamnée à l'extinction ?
Sa réponse est un oui sonore. « Ce n'est ni bien ni mal. C'EST. », écrit Gave. Son argument fondamental est qu'avec un taux de fertilité « natif » de 1.4 enfant par femme et un taux de fertilité « migrant » — expression par laquelle il désigne les musulmans — de 3.4 à 4 enfants par femme, et une population musulmane de 10% au départ, il ne faut que 30 à 40 ans pour que les musulmans deviennent majoritaires. En effet, explique Gave, avec un taux de 1.4 pour une population de 100, au bout de deux générations il ne reste déjà que 42 enfants « natifs ».
Comme il était prévisible, Gave fut immédiatement traité comme un bouffon d'extrême droite pour avoir repris la thèse connue en France sous le nom de « grand remplacement » et qui fut, notamment, popularisée par l'écrivain Renaud Camus, proche un temps du Front national de Marine Le Pen.
Dans un article furieux et venimeux à propos des « calculs foireux » de Gave, le quotidien Libération — en regard duquel le New York Times et le Washington Post sont des modèles d'objectivité — écrit que la population musulmane n'est pas de 10% en France, mais moins; que le taux de fertlité « natif » n'est pas 1.4 mais 1.8; que le taux de fertilité des migrants du Maghreb est de 3.53, pas 4, et que le concept de « population d'origine musulmane » est dénué de sens.
Qui a raison, Gave ou ses critiques ?
Commençons par relever que la critique de Libé est foncièrement superficielle. Gave écrit que le taux de fertilité des migrants musulmans est entre 3.4 et 4 — pas 4, comme le prétend erronément Libé (Gave : entre 3.4 et 4, Libé : 3.53, donc exactement la même chose). De plus, personne ne connaît la proportion exacte de musulmans en France — ce pays interdisant toute espèce de recensement racial ou religieux — mais 10% paraît une estimation conservatoire et raisonnable. En outre, Libé passe à côté de la seule véritable erreur de calcul du « papier » de Gave : avec un taux de fertilité de 1.4 et une population initiale de 100, aucun autre facteur n'étant pris en compte, après deux générations on obtient non pas 42 individus, comme le prétend Gave, mais 49 (100 x 0.7= 70 x 0.7= 49, et non 42).[1]
Ceci dit, Gave se livre lui-même à certaines assertions avec lesquels je suis en désaccord, par exemple :
« Ceux qui sont nés aujourd'hui seront là dans trente ans et ceux qui ne sont pas nés ne seront pas là. Cela est CERTAIN. » On suppose que le même degré de certitude habitait de nombreux observateurs en 1913, 1937 ou juste avant la Peste noire;
« Penser que l'immobilier va monter quand il n'y aura que 42 acheteurs pour 100 vendeurs est une idée intéressante mais dont j'ai du mal à comprendre la logique. », écrit Gave, qui vient pourtant d'indiquer que la population des migrants remplaçait la population native. En réalité, la France n'a jamais été aussi peuplée qu'elle ne l'est de nos jours;
Gave conclut : « L'immense nouvelle des trente ou quarante prochaines années sera donc la disparition des populations Européennes, dont les ancêtres ont créé le monde moderne. » Avec un taux de fertilité de 1.4, il faudra nettement plus que quarante années pour que disparaissent en effet les populations natives;
Plus fondamentalement, l'islam n'est pas une race. L'islam est une religion et, en réalité, nettement plus qu'une religion : une doctrine, une idéologie, une collection complète de normes (Coran, Sunnah, Fiqh) qui a vocation à régir tous et chacun des aspects de l'existence humaine. Etant une doctrine, un crédo, on peut se convertir à l'islam. On peut également y renoncer; bien que dans ce cas (apostasie), en droit islamique, la sanction prévue est la mort.
Il existe néanmoins des personnes qui se définissent comme « anciens musulmans », même s'ils ne sont pas majoritaires. De plus, cela n'a pas grand sens de prétendre connaître quarante années par avance ce que sera le sort d'une religion ou d'une idéologie, particulièrement en Europe. Comme le dit le proverbe, « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir. »
Il y a à peine deux ou trois générations, des dizaines de millions d'Européens se mettaient à genoux dans nos églises pour témoigner leur adoration du Christ. Quarante années plus tard, de cette ferveur religieuse il ne reste presque rien. C'est que, dans l'intervalle, nous avons assisté au phénomène de la « déchristianisation », qui a emporté l'ensemble de l'Europe.
Pourtant, en dépit de ces réserves, il y a de la vérité dans le « papier » de Gave. Pour le dire clairement, les Européens ont cessé de faire des enfants. Et cela n'a rien à voir avec l'islam; cette « peste » est d'origine bien occidentale.
Dans son livre La Bombe P — P comme population — publié en 1968, le biologiste américain Paul Ehrlich écrivait que la meilleure façon de réduire une population — en dehors de la stérilisation forcée qu'il appelait de ses vœux — est la légalisation de l'avortement. Cela sans même tenir compte des effets convergents des moyens contraceptifs.
Quand les Européens ont commencé à légaliser l'avortement, la plupart quelques années après l'arrêt séminal de la Cour suprême des Etats-Unis, Roe vs. Wade (1973), l'Eglise catholique mit en garde contre l'avènement d'une « civilisation morbide ». Lorsque le Parlement belge décida de dépénaliser l'avortement, en 1990, il fallut trouver une « astuce constitutionnelle » pour dispenser le Roi de signer une loi dont il réprouvait le principe. Alors que tout cela se déroulait il n'y a pas trente ans, la mentalité du Roi nous paraît aujourd'hui des plus archaïques.
Quarante années plus tard, nous savons maintenant que Paul Ehrlich et l'Eglise catholique avaient raison : l'Europe est entrée dans une civilisation morbide, et les Européens ont d'autres choses à faire que des bébés.
De fait, l'avortement a pris des proportions industrielles dans des pays tels que la France et la Suède. En France, il y a 200.000 avortements par an. Pour mettre les choses en perspective, il y a en France 750.000 naissances par an. Ce qui signifie que la France avorte 20% de ses bébés/foetus/amas cellulaires (choisir en fonction de vos convictions).
Le Parlement français a récemment institué l'avortement en droit sans condition (loi Vallaud-Belkacem de 2014). Auparavant, la mère devait être en situation de détresse pour que l'avortement soit légal. Cette condition — qui n'était jamais vérifiée — a été supprimée et l'avortement est désormais un droit comme un autre, tel le droit de conduire ou d'acheter un sandwich.
En outre, le Parlement français vient d'adopter l'une de ces lois dont il a le secret pour instituer le « délit d'entrave numérique à l'avortement », soit le fait de diffuser de fausses informations sur l'interruption volontaire de grossesse. Mais qu'est-ce qu'une fausse information? Est-il faux de constater que les conséquences psychiques d'un avortement, à court et/ou long terme, sont souvent dévastatrices ? Est-il faux de mettre en images les étapes cliniques de l'avortement ? Est-il « faux » de placer la valeur de la vie humaine au dessus d'autres considérations ? De plus, si la liberté d'expression ne comporte pas celle de dire des choses fausses et même odieuses, elle n'existe pas. Cette loi implique que probablement 99% des sites américains pro-vie (ie, anti-avortement) sont désormais hors-la-loi française. Américains, prenez garde ! En France, l'avortement accède désormais légalement au rang de dogme.
Ces avortements sont pratiqués par les populations migrantes et natives et, après un temps, le taux d'avortement des deux populations tend à se rapprocher.
Mais cela ne nous concerne pas ici. Ce qui nous occupe est le fait qu'un sous-groupe de la population européenne est en train de se condamner très efficacement à la marginalisation. Avec un taux de fertilité de 1.4 et pour une population initiale de 100, la suite est connue : 70, 49, 34, 24, 17, 12, 8, 6, 4, 3, 2, 1 -- en treize générations. Cette vérité n'est pas contestable, ni même polémique : elle est mathématique.
Bien sûr, même quand l'avortement est illégal, le déclin démographique est possible — par exemple, par la guerre, la peste et d'autres épidémies, ou la politique de l'enfant unique du Parti communiste chinois (qui implique des millions d'avortements forcés).[2] Certes, on peut concevoir en théorie un pays où l'avortement serait légal et où le taux de fertilité démographique serait dans le long terme de 3 enfants par femme. Mais dans la réalité des faits, il n'existe pas à ma connaissance dans la vaste littérature sur le sujet[3] un seul exemple d'une population qui ne soit pas rentrée en déclin démographique après que l'avortement ait été légalisé, normalisé et disponible à grande échelle. Dit clairement : une population qui massifie l'avortement se supprime elle-même, en quelques générations.
La question n'est pas ici de savoir si l'avortement est acceptable ou immoral, ou si la légalisation devrait être reconsidérée. Il ne s'est agi que de montrer que la « peste blanche » est, en Europe, une réalité et que cette « peste » est intégralement auto-infligée, ayant débuté avant l'arrivée de migrants musulmans par la légalisation de la contraception et de l'avortement, puis leur massification.
Qu'énoncer une vérité aussi simple — qui l'avait déjà été en son temps par une figure aussi respectée que Raymond Aron (Plaidoyer pour l'Europe décadente), par les anciens premiers ministres M. Rocard et A. Juppé, ou l'ancien président Mitterrand (« suicide démographique ») — cause un tel fracas illustre le fait qu'en Europe la liberté d'expression est engagée sur le même sentier morbide que les Européens.
(Image : Eric Chan/Wikimedia Commons) |
Drieu Godefridi est l'un des chefs de file de l'école libérale de langue française; il a fondé l'institut Hayek à Bruxelles, est titulaire d'un PhD de la Sorbonne et investit dans des entreprises européennes.
[1] La réalité est probablement autour de 45, si l'on prend en compte que pour une population de 100 il existe en moyenne 48 femmes en état de procréer. Voir l'excellent ouvrage du démographe Jacques Pâquier, Ces migrants qui changent la face de l'Europe, (avec Yves-Marie Laulan), Paris, L'Harmattan, 2004.
[2] Voyez le modèle aggrégé des déterminants démographiques de John Bongaarts, « Demographic Research, » 33, 19: 535–560, 2015).
[3] Voyez par exemple Kapótsy, B., « The demographic effects of legal abortion on the Hungarian labor force, » European Demographic Information Bulletin, septembre 1973, 4:136; Potts, M. Diggory, P., Peel, J., Abortion, Cambridge: Cambridge University Press, 1977; Berelson, B., « Romania's 1966 Anti-Abortion Decree: The Demographic Experience of the First Decade, » Popu. Studies, 33, 2: 209s. ; Tomas Frejka, « Induced Abortion and Fertility: A Quarter Century of Experience in Eastern Europe », Population and Development Review, Vol. 9, No. 3 (Sep., 1983), pp. 494-520; Senderowitz J., Paxman JM., « Adolescent fertility: worldwide concerns, » Popul Bull., 1985 Avr. 40(2): 1-51 ; Susan Gross Solomon, « The demographic argument in Soviet debates over the legalization of abortion in the 1920's », Cahiers du monde russe et soviétique,1992, 33, 1: pp. 59-81; Carroll, P. « Ireland's Gain -- The demographic Impact and Consequences for the Health of women of the Abortion Laws in Ireland and Northern Ireland since 1968, » London: Papri (Pension and Population research Institute), 2011; Potrykus, H., Higgins, A., « Abortion: Decrease of the U.S. Population & Effects on Society, » MARRI Research (Marriage and Religion Research Institute), janvier 2014; Mueller, JD, Redeeming Economics: Rediscovering the Missing Element, Intercollegiate Studies Institute: 2014; John Bongaarts, « Modeling the fertility impact of the proximate determinants: Time for a tune-up, » op. cit.