Comme une répétition historique, l'Iran s'ingère une fois de plus dans les affaires intérieures des Palestiniens. Une intrusion qui ne présage rien de bon pour la "réconciliation" du Hamas et du Fatah, la faction du de l'Autorité palestinienne que dirige le président Mahmoud Abbas. Ce retour de l'Iran dans les affaires palestiniennes et sa présence régionale accrue au plan politique et militaire, n'est pas de bon augure pour la stabilité du Moyen-Orient.
Les Iraniens ont exhorté le Hamas à conserver ses armes malgré l'accord de "réconciliation" qui a été signé entre le Hamas et le Fatah sous les auspices de l'Egypte. L'objectif de l'Iran ? Conserver le Hamas dans une posture de guerre contre Israël et améliorer sa capacité militaire.
Une délégation de haut niveau du Hamas conduite par Saleh Arouri, vice-président du "bureau politique" du Hamas, s'est rendue à Téhéran la semaine dernière pour informer les dirigeants iraniens sur l'accord de "réconciliation" conclu avec le Fatah. Les dirigeants iraniens ont publiquement félicité le Hamas pour avoir résisté aux demandes (du Fatah) de renoncer à son arsenal et à son contrôle sur la bande de Gaza.
« Nous vous félicitons de votre refus d'abandonner vos armes, une question que vous considérez comme une ligne rouge », a déclaré Ali Velayati, un haut responsable politi. « La cause palestinienne est la cause la plus importante du monde islamique, et après tout ce temps, malgré les pressions, vous restez attaché au principe de résistance contre les sionistes."
Lors de la visite d'une délégation du Hamas en Iran la semaine dernière, Ali Velayati (photo ci-dessus en 2016), haut responsable politique iranien et conseiller du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, a déclaré : « Nous vous félicitons pour votre refus abandonner vos armes ... « (Source de l'image: Hamed Malekpour / Wikimdia Commons) |
Arouri et ses collègues se sont précipités à Téhéran pour solliciter l'appui du régime iranien afin de mieux résister à Abbas qui réclame le transfert à l'Autorité palestinienne du contrôle de la sécurité dans la bande de Gaza. L'accord de "réconciliation" ne stipule d'ailleurs rien concernant le désarmement du Hamas, et les responsables du Hamas ont souligné au cours des deux dernières semaines qu'ils n'avaient aucune intention de déposer les armes ou de démanteler leur appareil de sécurité dans la bande de Gaza.
Le Hamas considère la demande de désarmement comme un élément d'une « conspiration » israélo-américaine pour éliminer la « résistance » palestinienne et contrecarrer l'accord de « réconciliation » avec le Fatah d'Abbas. Mais le refus du Hamas de désarmer menace d'ores et déjà leur « réconciliation ».
Lors de sa visite à Téhéran Arouri a déclaré que le Hamas « ne transigera pas sur son devoir de défendre le peuple palestinien ». Il a précisé que l'accord de « réconciliation » avec le Fatah n'affecterait pas les armes de la « résistance » palestinienne, ni le Hamas. Notre organisation, a-t-il ajouté, « affrontera la conspiration israélo-américaine par l'unité nationale et la réconciliation et par la poursuite de la résistance. Les forces de résistance palestiniennes garderont leurs armes et ne les déposeront en aucun cas ».
Pour le Hamas, la visite de certains de ses plus hauts responsables à Téhéran est présentée comme une réponse à la demande d'Israël que le Hamas rompe ses liens avec l'Iran. Les responsables du Hamas affirment au contraire qu'ils considèrent leurs relations avec l'Iran comme « stratégiques et importantes », notamment au regard de l'aide financière et militaire que Téhéran apporte à leur mouvement dans la bande de Gaza.
En s'alignant sur l'Iran, le Hamas montre clairement qu'il ne renonce pas à son idéologie ni à sa charte qui appelle à la destruction d'Israël et qu'il s'oppose à tout processus de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Les responsables iraniens n'apprécient guère Mahmoud Abbas et l'Autorité palestinienne et ne tiennent pas à les voir revenir dans la bande de Gaza. L'Iran considère Abbas comme un « traître » en raison de la coordination sécuritaire qui existe entre l'Autorité palestinienne et Israël en Cisjordanie et aussi parce qu'il ne cesse d'affirmer qu'il est engagé dans un « processus de paix » avec Israël. Des positions qui ne correspondent pas au souhait de l'Iran de détruire « l'entité sioniste ».
De son côté, Abbas a toujours considéré l'Iran comme une menace pour son régime et pour la stabilité de la région. Dans le passé, il a dénoncé le soutien apporté par l'Iran au Hamas et au Jihad islamique comme une ingérence iranienne dans les affaires intérieures des Palestiniens.
Au début de l'année, l'Autorité palestinienne a fermement condamné l'Iran après qu'un haut responsable iranien ait accusé Abbas d'avoir mené une guerre dans la bande de Gaza au nom d'Israël. La déclaration du responsable iranien faisait suite à une série de mesures punitives imposées par Abbas à Gaza.
Le porte-parole d'Abbas, Nabil Abu Rudaineh, a donc une nouvelle fois accusé l'Iran de s'immiscer dans les affaires intérieures des Palestiniens et de certains pays arabes. Les actions de l'Iran a-t-il dit « encouragent les divisions » au sein du mouvement palestinien. « L'Iran doit cesser de nourrir les guerres civiles dans le monde arabe ». Il a ajouté, « l'Iran doit cesser d'utiliser une rhétorique qui ne sert qu'Israël et les ennemis des Arabes ».
Abbas et l'Autorité palestinienne sont désormais convaincus que l'Iran cherche à torpiller l'accord de « réconciliation » avec le Hamas. Si l'Iran a invité les dirigeants du Hamas à Téhéran pensent-ils, c'est uniquement dans le but de faire pression afin qu'ils ne déposent pas les armes.
Abbas et les Egyptiens étaient probablement naïfs de croire qu'après l'accord de « réconciliation », le Hamas renoncerait à son arsenal et cèderait le contrôle de Gaza aux loyalistes d'Abbas. Il n'est pas exclu que certains dirigeants du Hamas aient menti à Abbas et aux Egyptiens en laissant entendre que le Hamas abandonnerait le contrôle sécuritaire de la bande de Gaza.
Les Egyptiens, qui ont joué un rôle majeur dans la négociation de l'accord entre le Hamas et le Fatah, semblent préoccupés du renouveau de l'ingérence iranienne. L'Autorité Palestinienne et l'Egypte analysent la visite en Iran de la délégation du Hamas comme un sérieux revers. Ils en concluent que le Hamas n'est pas sincère dans la mise en œuvre de l'accord de « réconciliation ».
Certains responsables de l'Autorité palestinienne et du Hamas ont récemment affirmé qu'Israël n'appréciait pas leur accord de « réconciliation » et multipliait les efforts pour le torpiller. En réalité, l'Iran et le Hamas semblent travailler main dans la main pour contrecarrer l'accord et insister sur le maintien du statu quo dans la bande de Gaza. Le message de l'Iran au Hamas est le suivant : notre aide financière et militaire se poursuivra si vous conservez vos armes et rejetez toutes les demandes de désarmement.
Quel but poursuit l'Iran ? Avec un Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza, les Iraniens entendent disposer d'une autre base de pouvoir au Moyen-Orient.
L'Iran veut que le Hamas soit son instrument, comme l'est le Hezbollah au Liban.
Le retour des forces de sécurité de l'Autorité palestinienne dans la bande de Gaza irait à l'encontre de l'objectif de Téhéran de détruire Israël.
Le soutien continu que l'Iran apporte au Hamas n'est en rien un geste d'affection pour le Hamas ou pour les Palestiniens. L'Iran poursuit ses propres objectifs et ne cherche qu'à consolider sa présence au Moyen-Orient.
De nombreux Palestiniens considèrent la visite « réussie » des responsables du Hamas à Téhéran comme un revers majeur pour tous ceux qui ont tenté de mettre fin à un conflit vieux de 10 ans entre le Hamas et le Fatah. Les Egyptiens regardent d'un œil suspect le rapprochement soudain de l'Iran et du Hamas et se demandent si le Hamas ne les a pas dupés. La délégation israélienne qui s'est rendue au Caire à la veille de la signature de l'accord Hamas-Fatah aurait averti les Egyptiens que la "réconciliation" ne fonctionnerait pas à moins que le Hamas ne désarme et ne rompe ses liens avec l'Iran. Mais les Egyptiens ont fait la sourde oreille.
Pour Israël, les États-Unis et les autres pays occidentaux, la seule leçon à tirer du renouvellement des liens entre le Hamas et l'Iran est que le Hamas n'a pas varié d'un iota.
Les espoirs qui ont pu naître dans la foulée de l'accord de "réconciliation" au Caire n'auraient donc été fondés que sur des mensonges et du vent. Le Hamas n'est aucunement tenté par la modération et le pragmatisme. En soutenant ouvertement le Hamas, l'Iran démontre une fois de plus qu'il ne cherche qu'à attiser les braises au Moyen-Orient et continuer à saboter toute perspective de paix.
Khaled Abu Toameh, un journaliste primé, est basé à Jérusalem.