Sur l'immigration, le "développement durable" et quantité d'autres sujets, la convergence entre Europe centrale et Etats-Unis d'Amérique est aujourd'hui aussi patente que le divorce entre Europe centrale et Europe occidentale.
La carte politique de l'Europe change. Vingt-trois des 28 gouvernements de l'Union européenne (UE) s'appuient désormais sur des majorités parlementaire de "droite". Presque partout, la gauche est en déroute.
C'est particulièrement vrai en Europe centrale. Le futur Premier ministre autrichien Sebastian Kurz vient de remporter les législatives avec un programme farouchement opposé à la politique européenne d'immigration et il s'apprête à former une majorité avec le FPÖ, qui doit son succès au même thème.
En Tchéquie, les partis de droite détiennent 157 des 200 sièges du Parlement et le milliardaire Andrej Babis — le "Trump tchèque" — deviendra prochainement Premier ministre.
L'un dans l'autre, les pays du groupe dit de Visegrád — Tchéquie, Hongrie, Pologne et dans une moindre mesure Slovaquie — plus l'Autriche ont voté pour les majorités les plus à droite en Europe depuis trente ans, quand Margaret Thatcher quitta le pouvoir au Royaume-Uni (1990).
Image: Les premiers ministres des pays du groupe de Visegrád se rencontrent à Prague le 3 décembre 2015. De gauche à droite: Robert Fico de Slovaquie, Beata Szydło de Pologne, Bohuslav Sobotka de Tchèquie et Viktor Orbán de Hongrie. (Source : chancellerie du Premier ministre de la Pologne). |
Ces peuples et partis ont davantage en commun — valeurs, priorités, vision du monde — avec la droite américaine qu'avec la droite d'Europe occidentale, plus centriste et traditionnellement proche des valeurs égalitaristes de la gauche. Soutenir, comme le fait régulièrement le Premier ministre de Hongrie Viktor Orbán, que l'Europe centrale ne veut pas de réfugiés musulmans parce qu'elle ne veut pas que, demain, leurs villes ressemblent à Paris, Bruxelles ou Londres, est "trumpesque" et pas du tout acceptable en Europe occidentale.
Si nous analysons les sujets de discorde, nous constatons que ces divergences ne sont pas à la marge, comme des désaccords temporaires en attente d'une nouvelle synthèse. Ils sont existentiels, ontologiques, insurmontables. La vision du monde de l'Europe centrale semble désormais irréconciliable avec celle de l'Europe occidentale. Prenons-en deux illustrations : l'immigration, et le "développement durable".
Les élites de l'Europe de l'Ouest n'adhèrent pas seulement, en pratique, à l'idéologie du "no border" : elles disqualifient toute vision divergente comme ignorante, discriminatoire, raciste. Même la chancelière Merkel a reconnu que le multiculturalisme en vogue en Europe depuis trente ans est un échec cuisant. Les enquêtes scientifiques montrent qu'un nombre significatif de musulmans européens sont fondamentalistes et des milliers de jeunes Européens musulmans sont partis se mettre au service de DAESH en Syrie. Pourtant, Bruxelles et Berlin veulent imposer aux pays d'Europe centrale d'emprunter le même chemin.
Quand on sait qu'en vertu du droit européen — la règle de Dublin — les pays d'Europe centrale ont l'obligation d'accueillir des quotas de réfugiés arrivés en Grèce et en Italie, musulmans dans leur écrasante majorité, on mesure l'ampleur du problème de l'UE. Il est également à noter que la Commission des libertés du Parlement européen vient d'adopter un "draft" qui aggrave cette obligation, en stipulant que désormais les réfugiés seront répartis entre tous les pays de l'UE dès leur arrivée sur le territoire de l'un de ses membres. Ce "draft" n'a aucune chance d'être accepté par les pays d'Europe centrale.
Plus "modérée" la Commission européenne propose de laisser en l'état la règle de Dublin, en l'augmentant toutefois d'un mécanisme de punition pour les Etats "récalcitrants", prévoyant une sorte d'amende administrative de 250.000 EUR par réfugié refusé. 250.000 EUR par refus ! Pour 1000 refus, on en est déjà à 250 millions d'euros ! (Ce qui peut surprendre, étant donné que l'idéologie officielle de l'UE est que les réfugiés sont une aubaine économique).
Bien sûr, tout le monde s'accorde en paroles sur le fait que les candidats à l'asile dont la demande est refusée doivent être éloignés du territoire européen. Ce qui ne veut malheureusement rien dire étant donné que les deux sœurs infernales — la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de justice de l'Union européenne — se sont assurées, décision après décision, qu'il est virtuellement impossible de rapatrier un "réfugié" après que sa demande d'asile ait été rejetée : pas de rapatriement collectif, par de rapatriement si le pays d'origine ne l'accepte pas, pas de rapatriement si le pays d'origine n'est pas une sympathique démocratie, pas de rapatriement pendant l'appel, pas de rapatriement si le débouté souffre d'un problème médical quelconque. Et tout cela seulement si le débouté n'a pas déchiré ses propres papiers, car dans ce cas il ne peut de toute façon pas être rapatrié du tout.
Si le système américain de justice dans le domaine de l'immigration est, pour citer le président américain, "une plaisanterie", le système européenne est une plaisanterie monumentale. "Le rapatriement de 250.000 déboutés du droit d'asile est quasiment impossible, déplorait récemment Horst Seehofer, ministre-président de la Bavière et allié réticent de Merkel dans sa dernière coalition. "La question du rapatriement est une grande illusion en Allemagne. Il est virtuellement impossible de renvoyer des migrants une fois qu'ils sont dans le pays. Des plaintes sont massivement introduites devant les tribunaux. Dans la plupart des cas, il n'y a pas de papiers et sans papiers, le pays d'origine ne reprend pas son "national". Dans d'autres cas, il manque tel ou tel document médical."
De son côté, l'Europe centrale a déclaré qu'elle n'avait aucunement l'intention de prendre part à la faillite grotesque de la politique des "frontières ouvertes" et du multiculturalisme forcé de l'Europe occidentale.
Autre pomme de discorde, le "développement durable". S'étant improvisée guide moral de la planète, l'Europe se veut exemplaire dans le domaine de l'écologie. Le passé appartient aux énergies fossiles, l'avenir appartient aux énergies renouvelables : le vent et le soleil ("nos sœurs", comme l'écrivait le Pape François dans sa récente encyclique Laudato Si'). La transition énergétique — qui est essentiellement une transition électrique — a pris en Europe des proportions titanesques. Par la faute de l'Energiewende, le ménage allemand moyen paie son électricité trois fois plus cher qu'aux Etats-Unis. La France qui depuis des décennies doit son seul avantage compétitif substantiel à son parc nucléaire a décidé de réduire la part du nucléaire dans son électricité de 75% à 50%.
Le gouvernement fédéral belge vient de décider de fermer ses sept réacteurs nucléaires en 2025. Dans huit ans ! La beauté du geste étant que personne, à ce stade, ne sait par quoi ces réacteurs seront remplacés. Il y a deux options : soit des centrales à gaz, soit couvrir le territoire et la mer belges d'éoliennes. La première option est inenvisageable pour les écologistes et la gauche en général, car elle obligerait à produire plus de CO2 que ce n'est le cas avec le nucléaire. Reste l'option éolienne, qui implique que dans dix ans l'électricité belge sera au moins deux fois plus chère qu'elle ne l'est aujourd'hui. Des centaines de milliers de ménages seraient ainsi condamnés à la pauvreté énergétique, comme c'est déjà le cas en Allemagne.
Tout le concept de la "transition énergétique" est fondé sur la science du GIEC, le groupe d'experts de l'ONU sur le climat, qui explique rapport après rapport que la Terre se réchauffe en raison des émissions humaines de CO2. Les politiciens européens regardent le GIEC comme une institution scientifique, et le GIEC se définit lui-même comme tel. Alors qu'en réalité il s'agit d'un organe purement politique et idéologique. Composition, compétences, fonctionnement : il n'y a pas la moindre trace de scientificité dans la trame du GIEC.
Pourtant, quand le GIEC publie un rapport, en Europe c'est comme si la Science avait parlé. Et c'est au nom de cette "science" que les politiciens européens infligent à leurs populations des milliers de milliards de nouvelles taxes, édifiant des pyramides de règlements et interdictions qui briment jusqu'aux détails les plus intimes de la vie des individus. Ces mêmes élites ouest-européennes ont stipulé dans l'Accord de Paris (2015), que dorénavant l'Occident financera non seulement sa propre transition énergétique, mais encore celle du reste du monde (y compris, la Chine) — via un "Fonds vert" alimenté à concurrence de la modique somme de 100 milliards par an !
Le 1er juin 2017, le président américain déclarait sur la pelouse de la Maison-Blanche que c'en est assez. Les Européens veulent construire le socialisme mondial au nom de la "science" ? Parfait, mais non merci, nous Américains ne sommes pas intéressés. En Europe, cette décision institua aussitôt le président américain en vilain absolu — alors qu'il n'était regardé jusque-là que comme un bouffon. Il est désormais commun dans les plus hautes sphères politiques européennes d'injurier publiquement le président de ce qui reste pourtant le principal pays allié de l'Euope. Ainsi l'expert belge Damien Ernst, attaché à un cabinet ministériel, écrivait-il récemment à propos du président US : "Il est un terroriste du climat. Des millions de gens vont mourir à cause de lui", après que le président américain se soit félicité d'une croissance de 7.5% dans la production de charbon américain.
Vilain absolu en Europe occidentale, mais héros en Europe centrale. Depuis des années, les pays d'Europe centrale tentent respectueusement de faire entendre une voix dissonante dans le domaine de l'écologie. Toujours en rattrapage économique après 50 années de communisme, ils n'aperçoivent aucun motif rationnel de renoncer à leur énergie bon marché pour l'énergie la plus chère de la planète, sans le moindre impact mesurable sur le "climat". Avant Trump, ils se sentaient seuls, face à l'ascendant économique (et moral) de l'Allemagne. Depuis le 8 novembre, ils savent qu'ils ne sont pas seuls.
Bien sûr la presse européenne considère toujours D. Trump comme une anomalie cosmique. Ils espèrent qu'après Trump, les USA feront leur retour dans ce qui est probablement la plus grande escroquerie de l'histoire, l'Accord de Paris. Mais cet espoir relève du wishful thinking. Le climat et l'énergie sont probablement les seuls sujets sur lesquels l'accord entre Trump et les Républicains est complet et parfait depuis juin 2015. La sortie américaine de l'Accord de Paris n'est pas l'acte isolé d'un lunatique, c'est une décision parmi une myriade d'autres initiatives, parlementaires et présidentielles, qui toutes vont dans le même sens : celui d'une politique énergétique modérée qui n'exclut ni les énergies fossiles, ni le nucléaire, ni le renouvelable — à condition que celui-ci soit économiquement rationnel. Si la tendance actuelle persiste, dans dix ans l'électricité américaine sera quatre à huit fois moins chère (sic) que l'électricité ouest-européenne. Tout cela, et ce n'est pas sans ironie, au nom du "développement durable". Aucune idéologie ne peut survivre à de telles réalités; ce n'est qu'une question de temps.
Sur l'immigration de masse, l'environnementalisme comme tant d'autres sujets —valeurs familiales, "genre" — le fossé entre Europe occidentale et Europe orientale a pris des allures d'abysse, aggravée par l'arrogance des élites de l'UE convaincues de leur propre supériorité morale. L'Union européenne n'a plus rien d'une "union", et la convergence entre Europe centrale et Etats-Unis d'Amérique est un fait géopolitique nouveau et massif.
PhD (Sorbonne), Drieu Godefridi est l'un des chefs de file de l'école libérale. Il est l'auteur, récemment, de "La passion de l'égalité — essai sur la civilisation socialiste".