Une grande partie de l'équipement dont se dote l'Armée populaire de libération - porte-avions, transporteurs de troupes amphibies et bombardiers furtifs - est destiné à des opérations de projection de forces, pas à la défense du territoire national. Photo : le porte-avion chinois Type 001A en 2017. (Source de l'image : GG001213 / Wikimedia Commons) |
« Soyez prêts au combat ». Le South China Morning Post, journal de Hong Kong qui reflète le mieux la ligne du Parti communiste, a résumé ainsi le premier ordre donné par Xi Jinping en 2019, à l'Armée populaire de libération (APL). Les termes utilisés par Xi, et qui ont été diffusés dans tout le pays, ont été les suivants : « préparez-vous à une lutte militaire globale qui sera une nouvelle base de départ ».
Depuis plusieurs mois, l'audacieux leader de la Chine populaire menace ses voisins et les États-Unis. « Xi ne joue pas seulement à la guerre », a écrit Victor Mair de l'Université de Pennsylvanie sur la liste de diffusion Fanell Red Star Rising de février. « Il en prépare une. Il est dans un état d'esprit dangereux. »
Dangereux en effet. De Washington à New Delhi, les décideurs politiques s'interrogent: la Chine s'apprête-t-elle à déclencher le prochain grand conflit de l'histoire ? Pékin souhaite bien sûr « gagner sans avoir à se battre », mais certaines décisions de Xi Jinping pourraient conduire à une ouverture des hostilités. La montée en puissance de l'armée chinoise dans les cercles politiques de Pékin apparait à cet égard particulièrement préoccupante.
L'APL, comme on appelle l'armée, s'équipe rapidement et cette évolution a de quoi alarmer. Pékin a toujours proclamé que son outil militaire était à finalité défensive, mais aucun pays ne menace l'un ou l'autre des territoire que la Chine contrôle. L'accumulation d'armements laisse donc présager une agression. Une grande partie du matériel acquis par l'Armée populaire de libération - porte-avions, transporteurs de troupes amphibies et bombardiers furtifs – a pour finalité la projection de forces et pas la défense du territoire national.
Les dirigeants chinois - et pas seulement Xi Jinping - pensent que leurs territoires devraient être beaucoup plus vastes. Poussés par leur propre rhétorique, certains craignent que leur armement flambant neuf ne soit utilisé pour s'emparer d'un territoire et en privatiser son espace maritime et aérien.
Les Chinois – les leaders, mais aussi les autres – qui se proposent de "récupérer" des contrées qu'ils n'ont jamais contrôlées auparavant représentent le pire cas d'irrédentisme au monde. Toutefois, Pékin ne considère pas que la force militaire soit le seul moyen d'acquérir de vastes "territoires perdus". Les dirigeants chinois pensent que l'intimidation suffira.
Le réarmement rapide a également d'autres objectifs. Arthur Waldron de l'Université de Pennsylvanie a déclaré au Gatestone Institute :
« Leur objectif est d'impressionner. Ils cherchent à produire une impression de puissance telle que nul ne songera à des représailles contre une quelconque transgression des règles internationales. »
En dépit de leur rhétorique, les Chinois mesurent les « impondérables » de la guerre. Ils n'y ont jamais brillé et ont subi des siècles durant, défaite sur défaite et invasion sur invasion.
Leur bilan militaire sous le régime de la République populaire n'a rien de glorieux. Certes, les Chinois ont pris le contrôle des îles Paracel et de quelques ilots rocheux de l'archipel des Spratley en mer de Chine méridionale, à l'issue d'escarmouches avec divers gouvernements vietnamiens. Mais ces « victoires » n'effacent pas les revers.
Au début des années 50, Mao Tse Toung a perdu 600 000 soldats en Corée, à commencer par son fils Mao Anying, avant d'opérer un retrait. En 1979, son successeur, Deng Xiaoping, qui voulait « donner une leçon au Vietnam » a subi une défaite humiliante de son petit voisin communiste.
En dépit de ces peu glorieux antécédents, la Chine suscite de réelles inquiétudes. Xi est en dette vis-à-vis des généraux et amiraux qui forment le cœur de son réseau de pouvoir dans les cercles du Parti communiste. Et ces militaires jouent un rôle encore plus important au fur et à mesure que le peuple chinois devient plus rétif.
Comme le déclarait Willy Lam de l'Université chinoise de Hong Kong à Gatestone ce mois-ci, « le risque de troubles sociaux massifs rend la haute direction du Parti paranoïaque ». L'armée et la police disposent désormais de « pouvoirs supplémentaires en matière de sécurité intérieure ... Xi sait très bien que seuls l'armée et la police protègent le parti ».
Xi a tenté d'inverser son rapport de forces avec l'armée au moyen d'opérations « anti-corruption » - en réalité, des purges politiques déguisées- et par « une transformation en profondeur de l'appareil militaire » a expliqué June Teufel Dreyer de l'Université de Miami à Gatestone.
Mais ces efforts n'ont pas été entièrement couronnés de succès. C'est pourquoi Xi essaie, selon les mots de Waldron, de se donner une image d' « empereur martial ». Il est conscient que l'APL est un « faiseur de roi », capable de soutenir ou de renverser des dirigeants civils. « Le soin qu'il prend de l'armée chinoise a sans aucun doute des causes politiques internes sans grand lien avec des modifications de l'environnement international », a déclaré Waldron. Pour conserver les faveurs de l'armée, Xi doit céder aux officiers généraux.
Les raisons internes de la militarisation ne rendent pas cette militarisation moins dangereuse. Xi a débloqué de très importants budgets d'équipement militaire et a laissé ses officiers d'Etat major libres de jouer un rôle disproportionné dans la formulation de politiques étrangères provocatrices. La déclaration de novembre 2013 concernant la Zone d'identification de défense aérienne de la mer de Chine méridionale, une tentative audacieuse de contrôler le ciel au large de ses côtes, est un exemple clair de l'influence des militaires. La saisie du banc de Scarborough Shoal au début de 2012 et la militarisation d'ilots de l'archipel des Spratley en mer de Chine méridionale sont d'autres événements déstabilisateurs.
L'influence des militaires dans la capitale chinoise se remarque aussi à une hostilité permanente. À deux reprises en décembre, des officiers généraux de l'APL ont publiquement menacé l'US Navy d'attaques unilatérales. « Les États-Unis ont plus peur de la mort que nous », a déclaré le Contre-amiral Luo Yuan lors de la seconde salve de menaces.
« Nous avons maintenant les missiles Dong Feng-21D, Dong Feng-26. Ce sont des engins anti porte-avions. Nous pouvons attaquer et couler l'un de leurs porte-avions. Ils perdront 5 000 soldats. Attaquer et couler deux porte-avions, 10 000 victimes. Voyons si les Etats Unis ont peur ou pas. »
La planète entière, et pas seulement les États-Unis, a d'autant plus de raisons d'avoir peur qu'un parallèle est possible entre l'armée chinoise d'aujourd'hui et le Japon des années 1930.
Dans les années 1930, les officiers de l'armée japonaise avaient « pris des mesures radicales pour forcer le gouvernement à entrer en guerre, n'hésitant pas à assassiner des leaders politiques japonais opposés à tout bellicisme » a rappelé Dreyer à Gatestone.
A l'époque, l'armée japonaise, tout comme l'armée chinoise aujourd'hui, s'enivrait de sa puissance et d'un climat ultranationaliste. Aujourd'hui comme hier, le contrôle des politiques apparait flou sur la plus grande armée d'Asie. Aujourd'hui comme hier, la plus grande armée d'Asie est sure d'elle et belliqueuse.
Dans les années 1930 également, les médias ont accrédité l'idée que le Japon était en butte à un environnement de puissances hostiles à son essor. Eri Hotta, auteur de Japan 1941: Countdown to Infamy (« Japon 1941: Compte à rebours vers l'Infamie ») écrit que les Japonais « se sont persuadés qu'ils n'étaient pas des agresseurs mais les victimes d'un enchaînement de circonstances ». Les Chinois n'agissent pas autrement aujourd'hui.
Dans son livre, Hotta cite Maruyama Masao, un éminent politologue de l'après-guerre : « si nous posons la question : « Voulaient-ils la guerre ? » la réponse est oui. Et si nous demandons « Souhaitaient-ils éviter la guerre ? » la réponse est oui encore ». « Tout en voulant la guerre, ils ont essayé de l'éviter ; mais en cherchant à l'éviter, ils ont délibérément choisi le chemin qui y menait ».
Malheureusement, ce schéma tragique est en passe d'être rejoué. A Pékin, des Chinois aux épaulettes étoilées donnent le sentiment de vouloir reproduire l'une des pires erreurs du siècle dernier.
Gordon G. Chang est l'auteur de The Coming Collapse of China (« L'effondrement prochain de la Chine »). Il est aussi Distinguished Senior Fellow du Gatestone Institute.