Les autorités allemandes ne donnent toujours pas le sentiment de prendre au sérieux l'antisémitisme islamiste, et ce en dépit de son potentiel meurtrier. Le 4 octobre, un Syrien brandissant un couteau a tenté d'entrer dans une synagogue de Berlin (photo) en criant « Allahu Akbar ». La police l'a libéré le lendemain. (Photo de John McDougall / AFP via Getty Images) |
Le gouvernement allemand a récemment annoncé qu'il entendait « lutter fermement contre l'extrémisme de droite et l'antisémitisme par tous les moyens mis à sa disposition par l'état de droit ». Certaines des mesures présentées par Christine Lambrecht, ministre de la Justice, pourraient attenter à la liberté d'expression. Selon le journal allemand Deutsche Welle :
« Les plateformes de services en ligne, comme Facebook, YouTube et Twitter, seront tenues de signaler tout discours de haine aux autorités ainsi que l'adresse IP des personnes en cause. Jusqu'à présent, les réseaux sociaux étaient seulement tenus de supprimer le discours de haine dans un certain délai. »
NetzDG, une loi de censure très controversée entrée en vigueur le 1er octobre 2017, oblige les réseaux sociaux à supprimer ou bloquer toutes les « infractions pénales » en ligne (insulte, calomnie, diffamation, incitation...). Lesdits réseaux sociaux doivent agir dans les 24 heures qui suivent la réception d'une plainte, mais ils bénéficient d'un délai de sept jours pour les cas complexes. Au-delà, ils sont considéré comme n'ayant pas agi et le gouvernement allemand sera alors en droit de leur infliger une amende pouvant aller jusqu'à 50 millions d'euros.
Les mesures rendues publiques par Lambrecht font clairement référence à l'attaque de la synagogue de Halle, au cours de laquelle un allemand, Stefan Balliet, a tenté d'entrer – sans succès - dans la synagogue pour tuer des Juifs. Au cours de ses déplacements, il a néanmoins assassiné deux personnes. Balliet a fait état de convictions antisémites et extrémistes de droite qui l'auraient incité à passer à l'acte. Il est acquis semble-t-il, que Balliet a trouvé l'inspiration sur Internet. « La terrible attaque contre la communauté juive de Halle nous montre à quoi peut conduire la désinhibition et le déchaînement de la haine sur le Net », a déclaré Lambrecht .
Selon Die Welt, le nouvel ensemble de mesures poursuit et développe « les méthodes de prévention déjà utilisées contre l'extrémisme de droite. Notamment, les programmes visant à promouvoir la démocratie et à prévenir l'extrémisme ... ainsi que des mesures d'éducation politique en général ... » Toujours selon Die Welt, « la protection constitutionnelle contre l'extrémisme de droite doit être intensifiée » et les services de sécurité et le pouvoir judiciaire « devront disposer des outils nécessaires pour lutter contre les délits à motivation politique de la droite ».
A l'évidence, les projets gouvernementaux ne visent que l'antisémitisme d'extrême droite. Les actes antisémites commis par des extrémistes islamistes sont totalement passés sous silence. Une omission d'autant plus étrange que les conclusions de la « Deuxième enquête sur la discrimination et les crimes de haine à l'égard des personnes juives dans l'UE, publié en décembre 2018 par l'Agence des droits fondamentaux de l'UE (FRA) ne laissent guère de doute sur le sujet. Selon l'enquête :
« Les répondants ont décrit les auteurs de l'incident le plus grave de harcèlement antisémite dont ils ont été victimes comme étant : des personnes qu'ils ne connaissaient pas (31 %), des personnes ayant une position musulmane extrémiste (30 %), des personnes ayant des opinions politiques de gauche (21 %), des collègues de travail ou camarades d'écoles/universités (16 %), des connaissances ou amis (15 %) et des personnes ayant des opinions politiques de droite (13 %) » [1]
L'Allemagne faisait partie des 12 États membres interrogés.
Un peu auparavant, en novembre 2018, l'Agence des droits fondamentaux de l'UE a repris dans un rapport intitulé « Antisémitisme - Aperçu des données disponibles dans l'Union européenne 2007-2017 », cette constatation faite en 2017 par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) :
« Les principaux auteurs d'incidents antisémites sont les 'islamistes' et les jeunes musulmans radicalisés (y compris les collégiens), les néonazis et les sympathisants de l'extrême droite et, dans certains cas, des groupes d'extrême gauche ». [2]
Peut-être plus important encore, le Bundesamt für Verfassungsschutz (BfV) - le service de renseignement fédéral - a publié en juin 2019 un rapport sur « l'antisémitisme au sein de l'islamisme ». L' objectif de ce rapport était de « sensibiliser le public à l'antisémitisme islamiste ». Le rapport indique que :
« pour mesurer l'étendue de la propagande et des manifestations antisémites dans les milieux islamistes en Allemagne, le BfV a consigné depuis fin de 2015, ... tous les événements antisémites ayant une origine islamiste présumée.
« L'archivage de ces événements montre que les manifestations antisémites d'origine islamiste ne sont pas rares en Allemagne. Pour la seule période de janvier à décembre 2017, plus de 100 incidents ont été enregistrés, qui vont des sermons antisionistes aux graffitis antisémites en passant par les attaques verbales et physiques contre des individus. Ceci n'étant probablement que le « traditionnel sommet de l'iceberg ». [Italiques ajoutées par l'auteur].
« Jusqu'à aujourd'hui, les événements violents n'ont pas fait l'objet d'un classement systématique. Mais les simples incidents individuels montrent que la radicalisation idéologique des personnes et l'incitation à la haine et à la violence par des idées antisémites forment un terreau propice à toujours plus de violence.
« Il convient également de remarquer que nombre d'incidents ont été causés par des individus, qui jusqu'à présent n'avaient aucun lien affiché avec l'islamisme organisé. Ainsi, en avril 2016, à Berlin, deux Arabes ont pris à partie une femme en raison de son pendentif en forme de terre d'Israël. Les deux hommes ont proféré des insultes comme « Espèce de merde juive ! Vous êtes la racaille de la terre ». En décembre 2017, un collégien arabe a attaqué un camarade juif d'une école de Berlin avec les mots suivants : « Vous êtes des meurtriers d'enfants ; vous méritez d'être décapités ! » Toujours en décembre 2017, deux inconnus ont attaqué une synagogue en Rhénanie du Nord-Westphalie et insulté les officiants avec ces mots : « Al-Quds nous appartient ! Filez d'ici, fils de putes ! »
« De tels incidents laissent à penser que le discours antisémite véhiculé par les islamistes essaime dans cette partie de la population musulmane non structurée par les organisations islamistes. Seul un suivi régulier permettra de dire s'il s'agit-il d'un phénomène permanent et qui sait, d'un futur courant dominant.
« Quelles que soient les évolutions, il importe de comprendre que l'antisémitisme islamiste, qu'il s'agisse de l'antisémitisme de groupes ou de personnes, pose d'ores et déjà un défi considérable à la coexistence pacifique et à la tolérance en Allemagne aujourd'hui ».
Pourquoi l'antisémitisme djihadiste n'a-t-il pas été inclus dans le nouveau dispositif gouvernemental de lutte contre l'antisémitisme ? La question mérite d'autant plus d'être posée que, en avril 2018, selon Die Welt, la chancelière Angela Merkel a reconnu que :
« Nous devons affronter une situation nouvelle qui voit des réfugiés ou des personnes d'origine arabe importer une autre forme d'antisémitisme dans le pays. »
Les pouvoirs publics n'ont en réalité pas réellement pris la mesure de l'antisémitisme islamiste, même dans ses facettes les plus meurtrières. Le 4 octobre, un Syrien armé d'un couteau a tenté d'entrer dans une synagogue de Berlin en criant « Allahu Akbar » et « Fuck Israel ». Selon Neues Deutschland, la police a immédiatement placé l'homme en hôpital psychiatrique, estimant que la personne ne pouvait pas être « suspectée de vouloir commettre un crime, elle ne pouvait être suspectée que d'intrusion seulement ». La police a ajouté que « rien ne laissait penser à une possible radicalisation ». L'homme a été libéré le lendemain, alors qu'il a été arrêté « en flagrant délit » par les gardes de la synagogue.
Bien que déjouée, cette attaque au couteau a amené les services du ministère de l'intérieur, à Berlin, à annoncer une présence policière renforcée devant les institutions juives. Là encore, la question se pose de savoir quel peut bien être l'intérêt d'un surcroit de présence policière, quand les assassins potentiels sont immédiatement libérés parce qu'ils ne peuvent être suspectés que d'un « délit d'intrusion » ?
Le président du Conseil central des Juifs d'Allemagne a critiqué l'action de la police. « La libération rapide de l'agresseur est incompréhensible », a déclaré Josef Schuster, ajoutant que le parquet avait « fait preuve d'une grande négligence dans la gestion de cette tentative d'attaque de synagogue ».
L'évaluation des services de renseignements allemands telle qu'elle est formulée dans le rapport annuel 2018 sur la protection de la Constitution, confirme l'ampleur de la menace jihadiste, non seulement contre les juifs allemands, mais contre tous les Allemands :
« Si l'on ne considère que les chiffres, il est possible de dire que l'extrémisme islamiste a légèrement augmenté et concerne un total d'environ 26 560 personnes en 2018 (25 810 en 2017). Bien qu'aucun attentat islamiste n'ait été organisée en Allemagne en 2018, diverses attaques ont été déjouées à différents stades de préparation qui indiquent qu'il n'y a aucune raison de relâcher sa vigilance. La menace en Allemagne reste forte et stabilisée à un niveau élevé ... L'Allemagne continue d'être la cible d'organisations djihadistes telles que l'Etat islamique ou al-Qaïda. L'Allemagne et les intérêts allemands à l'étranger sont confrontés à une menace constante, sérieuse qui peut à tout moment se traduire par des attaques terroristes de type djihadiste ».
Compte tenu de ce scénario officiel sur les menaces encourues par les citoyens allemands, le gouvernement allemand doit expliquer à tous ses citoyens pourquoi il se montre si « sélectif » dans sa réponse à l'antisémitisme.
[1] Deuxième enquête sur la discrimination et les crimes de haine à l'égard des personnes juives dans l'UE, p 53.
[2] Antisémitisme - Aperçu des données disponibles dans l'Union européenne 2007–2017 p 14.