Les dirigeants palestiniens s'excuseront-ils un jour avoir d'avoir accusé Bahreïn et des Émirats arabes unis d'avoir trahi les Palestiniens et les Arabes parce que ces deux pays avaient signé des accords de paix avec Israël ? Photo : des Palestiniens à Ramallah brûlent des photos du prince héritier des Émirats arabes unis Mohammed ben Zayed et du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le 15 août 2020 (Photo par Abbas Momani / AFP via Getty Images) |
Les dirigeants palestiniens s'excuseront-ils un jour d'avoir accusé Bahreïn et les Émirats arabes unis (EAU) d'avoir trahi les Palestiniens et les Arabes en signant un accord de paix avec Israël ?
A la surprise générale, l'Autorité palestinienne (AP), dirigée par le président Mahmoud Abbas, a annoncé la semaine dernière, qu'elle s'employait à rétablir toutes les relations qu'elle entretenait avec Israël, y compris la coopération sécuritaire. Jusqu'à il y a peu, les forces de sécurité de l'AP et les Forces de défense israéliennes coordonnaient leurs actions en Cisjordanie.
Abbas devrait également présenter des excuses aux Palestiniens. Sa rupture avec Israël a en effet privé les patients palestiniens - à l'exception d'un dirigeant palestinien de premier plan, Saeb Erekat – d'un traitement médical de pointe en Israël. Des milliers de Palestiniens ont également été privés de salaire en raison du refus d'Abbas d'encaisser les recettes fiscales qu'Israël collecte pour le compte de l'Autorité Palestinienne.
Enfin, l'Autorité palestinienne a renvoyé à Bahreïn et aux Émirats arabes unis ses ambassadeurs ; ceux-là même qui avaient fait l'objet d'un rappel pour consultation en signe de protestation contre les accords de paix que ces deux pays ont signé avec Israël.
Les dirigeants de l'Autorité palestinienne ont aussi affirmé qu'en reconnaissant Israël les Émirats arabes unis et Bahreïn ont poignardé les Palestiniens dans le dos et « trahi le peuple palestinien, Jérusalem et la mosquée Al-Aqsa ». En Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est des Palestiniens avaient protesté contre les accords de paix, brûlant les drapeaux de Bahreïn et des Émirats arabes unis ainsi que les photos des dirigeants des deux pays.
Lorsqu'ils ont appris le rétablissement des liens avec Israël, certains Palestiniens ont ironiquement accusé la direction de l'AP d'hypocrisie et de « poignarder le peuple palestinien dans le dos ». Sur les réseaux sociaux, certains Palestiniens et Arabes ont exigé sarcastiquement que l'AP rappelle son ambassadeur à Ramallah pour protester contre sa propre décision de « normaliser » les relations avec Israël.
Certains Palestiniens considèrent que le rapprochement avec Israël et le renvoi des ambassadeurs palestiniens aux Émirats arabes unis et à Bahreïn doit être interprété comme une tentative de l'AP de se rapprocher d'une éventuelle nouvelle administration américaine à la tête de laquelle on trouverait le président élu présumé Joe Biden. Abbas espère sans doute qu'en retour, les États-Unis et certains États du Golfe recommenceront à remplir les coffres de l'AP - pour commencer.
Il se peut que l'administration Biden se déclare satisfaite des gestes palestiniens, mais sur les réseaux sociaux, nombre d'Arabes du Golfe réclament que Mahmoud Abbas et les dirigeants palestiniens, s'excusent. Pourquoi seuls les Palestiniens auraient-ils le droit d'avoir des relations normalisées avec Israël, et pas Bahreïn et les EAU ?
L'analyste politique bahreïni Abdullah Al-Junaid, s'adressant à Abbas, a écrit :
« Monsieur le Président Mahmoud Abbas, en tant que citoyen des États arabes du Golfe, je salue votre décision de réinstaller un ambassadeur palestinien à Manama et à Abu Dhabi. Mais vous devez simultanément et immédiatement présenter des excuses officielles aux citoyens de Bahreïn, des Émirats arabes unis et du Royaume d'Arabie saoudite pour les déclarations hostiles et les insultes que vous leur avez adressées ».
Al-Junaid a rappelé qu'Abbas avait présidé une réunion des factions palestiniennes en septembre pour condamner et insulter les Arabes du Golfe et leurs dirigeants.
« Depuis les années 1960, les enfants des États du Golfe consacrent une partie de leur argent de poche à l'aide aux Palestiniens », a noté Al-Junaid. En remerciement a-t-il ajouté, les dirigeants palestiniens affichent leur mépris pour le peuple du Golfe :
« Vous nous avez accusés de brader Jérusalem et le peuple palestinien, mais vous-même, sans explications à la population palestinienne, ni même aux Arabes, vous reprenez vos accords de sécurité avec Israël. Puis vous renvoyez vos ambassadeurs [palestiniens] à Abu Dabi et Manama sans honte ni déclaration d'excuses. Je me moque de vos affaires intérieures Monsieur le Président, mais aucune attaque contre un citoyen du Golfe n'est plus acceptable. Vous devez publiquement et personnellement vous excuser pour les blessures infligées. »
Al-Junaid et d'autres Arabes du Golfe ont appelé au boycott de l'AP jusqu'à ce qu'Abbas s'excuse d'avoir insulté les États du Golfe et d'avoir incité les Émiratis et les Bahreïnis à se révolter contre leurs dirigeants.
L'écrivain émirati Turki Hasher a lui aussi estimé que des excuses officielles auraient été un préalable acceptable avant le retour des ambassadeurs palestiniens. Les dirigeants palestiniens ont finalement admis que le rappel de leurs ambassadeurs avait été une erreur. « Mais les remettre en poste ni vu ni connu n'a pas de sens ; seules des excuses officielles permettront d'oublier cette décision maladroite prise en hâte et dans la confusion», a écrit Hasher.
Mohammed Al-Mulla, analyste politique koweïti trouve anormal que tous ceux qui ont condamné les Émirats arabes unis et Bahreïn gardaient le silence quand les dirigeants palestiniens eux-mêmes renouent avec Israël :
« Les factions palestiniennes et divers partis islamistes ont multiplié les menaces et les intimidations à propos des accords de paix entre les Etats du Golfe et Israël. Pourquoi se taisent-ils quand les Palestiniens normalisent eux-mêmes avec Israël ? »
BintUAE1900, un Emirati très présent sur les réseaux sociaux, s'est étonné : « Ils [les Palestiniens] ont piétiné les photos de nos dirigeants. Mais nous ne les avons pas vus piétiner les photos d'Abbas. »
Certains Arabes du Golfe à ont estimé que le rétablissement des relations entre l'Autorité Palestinienne et Israël méritait l'expulsion des ambassadeurs palestiniens et le boycott des produits palestiniens.
Un autre écrivain koweïtien, Abdel Muhsen Husseini, a trouvé étrange le deux poids deux mesures : pourquoi condamner Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn, alors que les Palestiniens aussi normalisent leurs relations avec les Israéliens ?
Abdel Muhsen rappelle également que les Palestiniens de Gaza avec le Hamas à leur tête, s'opposent toujours au Fatah de Mahmoud Abbas qui a le pouvoir en Cisjordanie. Selon Muhsen :
« Les Palestiniens ont gaspillé des efforts et du temps sans avancer pour achever le projet de création d'un État palestinien ... [L'ancien dirigeant de l'OLP] Yasser Arafat a gaspillé tous les efforts palestiniens et a toujours levé le bras en signe de victoire, mais il était incapable de réaliser quoi que ce soit. »
Le Conseil de coopération du Golfe a exigé qu'Abbas et d'autres dirigeants palestiniens regrettent publiquement leur usage d'une « rhétorique irresponsable » et les « incitations et menaces » dont ils ont abreuvé les pays du Golfe qui ont fait la paix avec Israël. Mais Abbas et les dirigeants de l'Autorité palestinienne ont pris le parti d'ignorer la demande.
Les dirigeants palestiniens ne reculent devant aucune hypocrisie. En arabe, leur décision de renvoyer les ambassadeurs aux Emirats Arabes Unis et à Bahreïn a été qualifiée de « wakaha » (insolence). L'annonce de la reprise de contact entre les Palestiniens et Israël se produit alors que les médias palestiniens continuent de condamner tous les Arabes qui normalisent leurs rapports avec Israël. La prochaine fois que les dirigeants palestiniens accuseront les Arabes de les poignarder dans le dos, Abbas et ses responsables devront d'abord se regarder dans le miroir et accepter l'idée que leurs manipulations ne passeront plus aussi facilement que par le passé.
Khaled Abu Toameh, journaliste primé basé à Jérusalem, est Shillman Journalism Fellow au Gatestone Institute.