La flotte de pêche chinoise est sans conteste la plus grande du monde. Mais les missions confiées à ces chalutiers ne se cantonnent pas à la pêche. Selon le journaliste d'investigation Ian Urbina, « compte tenu des aspirations géopolitiques de la Chine, les acteurs de la pêche commerciale ont une fonction paramilitaire qu'il est facile au gouvernement chinois de qualifier d'action privée ». Photo : le 21 juin 2019, à Manille (Philippines), des Philippins manifestent contre l'incursion de la Chine dans la partie occidentale de la mer des Philippines. Le 9 juin 2019, des pêcheurs philippins ont révélé qu'un chalutier chinois a percuté et coulé leur bateau dans la zone économique exclusive des Philippines, abandonnant à la mer les 22 membres d'équipage qui ont été sauvés de la noyade par un bateau de pêche vietnamien. (Photo par Ezra Acayan / Getty Images) |
La Chine communiste est bien partie pour épuiser les ressources des océans. Sa flotte de pêche, de loin la plus grande du monde, compte 200 000 à 800 000 bateaux – elle représente près de la moitié de l'activité de pêche mondiale – dont 17 000 chalutiers de haute mer. La croissance de l'industrie de la pèche a été rendue possible grâce à d'énormes subventions. Rien qu'en 2012, l'État chinois a financé le carburant des navires de pêche à hauteur de 3,2 milliards de dollars. Selon un rapport de 2012, « l'aide publique au secteur de la pêche et de l'aquaculture pourrait atteindre 500 milliards de yens (61,7 milliards d'euros) en tenant compte des subventions régionales et nationales accordées aux pisciculteurs de zones rurales ».
Comme l'indique l'Overseas Development Institute (ODI), la Chine fait partie du club des pays industrialisés qui, après avoir épuisé les ressources de leurs eaux nationales, pratiquent la pêche en eaux lointaines. Les navires chinois se déplacent jusque dans les eaux territoriales des pays à faible revenu pour prélever les ressources qu'ils ne trouvent plus près de leurs côtes. Mais la flotte de pêche en eaux lointaines de la Chine est de loin la plus importante au monde. L'ODI note aussi que les règles de propriété et de contrôle opérationnel de la flotte chinoise sont « complexes et opaques ».
« Les dirigeants chinois considèrent les flottes hauturières comme un outil de projection à l'international », a déclaré au média en ligne Axios, Tabitha Mallory, PDG du cabinet de conseil China Ocean Institute et professeur affilié à l'Université de Washington. « Le but est d'être présent sur tous les océans afin de peser sur la rédaction des accords internationaux qui concernent les ressources maritimes. »
Les navires de pêche chinois épuisent non seulement les stocks des pays du Sud-Est asiatique, mais aussi ceux des pays du golfe Persique, d'Amérique du Sud, d'Afrique de l'Ouest et du Pacifique Sud. Leurs méthodes de pêche prédatrices et non durables mettent aussi bien en danger la vie marine que les moyens de subsistance des pêcheurs locaux. La Chine est considérée comme le principal acteur de la pêche INN, c'est-à-dire la pêche illicite, non déclarée et non réglementée dans le monde. Ce pays est aussi le plus gros subventionneur de ces pratiques.
L'amiral Karl Schultz, commandant des garde-côtes américains, a lancé un avertissement :
« La pêche INN est devenue la principale menace pour la sécurité maritime mondiale. A ce titre, elle a remplacé la piraterie. Si la pêche INN continue de manière incontrôlée, nous pouvons nous attendre à une détérioration de la situation des États côtiers les plus fragiles, à des tensions accrues entre pays qui disposent d'une flotte de prêche, et à un accroissement de l'instabilité géopolitique dans le monde ».
L'exemple de la Corée du Nord montre que les conséquences sont parfois macabres. Au cours des cinq dernières années, plus de 500 barques de pêche nord-coréennes, avec à leur bord des pêcheurs squelettiques et morts de faim, ont dérivé avant de s'échouer sur les côtes du Japon. Les causes du phénomène sont longtemps demeurées mystérieuses, jusqu'à ce que l'on découvre que des « armadas » de bateaux industriels chinois écumaient illégalement les eaux territoriales nord-coréennes, forçant les pêcheurs locaux à s'aventurer très au large pour trouver du poisson au risque de mourir de faim et de s'échouer au Japon. Selon certaines estimations, les navires de pêche chinois ont prélevé 70% des stocks de calmars nord-coréens.
En Iran, en juillet des médias pro-réformes ont rapporté que des navires chinois « ratissaient illégalement les ressources halieutiques du golfe Persique » obligeant « les pêcheurs iraniens à verser dix mille dollars de pots-de-vin à des pirates somaliens pour obtenir le droit de pêcher au large des côtes africaines ». La plupart des navires de pêche chinois sont des chalutiers. « La pêche au chalut racle le fond marin dans le sud et anéantit ses ressources », a déclaré un représentant des pêcheurs.
Selon un article de juillet 2020 de Iran News Update :
« Ces dernières années, cet horrible problème [l'activité des chalutiers chinois] a contribué à une réduction des deux tiers des ressources halieutiques de l'Iran et a sonné l'alarme quant à l'anéantissement de l'écosystème marin du pays. Ce type de pêche a impacté négativement la pêche iranienne ... »
Depuis plus d'une décennie, l'Iran semble avoir loué ses eaux territoriales du golfe Persique aux navires industriels chinois. En 2018, le député aux affaires portuaires de l'Organisation portuaire et maritime d'Iran, Mohammad Ali Hassanzadeh, a admis que les navires chinois « opéraient dans le cadre d'un 'bail à long terme' pour pêcher à une profondeur de 200 mètres (environ 656 pieds) dans les eaux iraniennes. »
Dans un certain nombre de pays d'Afrique de l'Ouest - Sierra Leone, Libéria, Ghana, Nigéria ... - les chalutiers chinois ont, des années durant, « profité de la mauvaise gouvernance, de la corruption et de l'incapacité de ces gouvernements à faire appliquer les réglementations de pêche » selon le China Africa Project.
« Aujourd'hui, les navires chinois opèrent largement au-delà de tout contrôle gouvernemental. Leur surpêche représente une menace de plus en plus grave pour l'environnement et met en péril la survie des communautés côtières locales qui dépendent de ces eaux pour leur subsistance ».
En juillet 2020, six super-chalutiers chinois, ont ratissé les territoires de pêche du Libéria. Ces navires pouvaient capturer jusqu'à 12 000 tonnes de poisson – soit le double des prises durables de ce pays.
Un rapport du 24 mars de l'Environmental Justice Foundation affirme que les entreprises publiques chinoises ont « saigné » les ressources océaniques du Ghana « en se faisant passer pour des sociétés de pêche de droit ghanéen. Elles achètent les licences de pêche moins cher et paient des pénalités moins élevées pour leurs activités de pêche illégale », privant ainsi le pays de plusieurs millions de dollars de revenus.
« Le rapport explique de manière détaillée que les Chinois contrôlent jusqu'à 93 pour cent des chalutiers au Ghana, un pays qui perd actuellement entre 14,4 millions et 23,7 millions de dollars (12,1 millions d'euros et 20 millions d'euros) par an en droits de licence de pêche et en amendes de chalutiers. »
En Amérique du Sud, la pêche prédatrice des Chinois a dépassé le niveau critique. En mars, l'Argentine a annoncé la création d'un commandement maritime conjoint pour lutter contre les navires prédateurs étrangers. Selon Diálogo, un magazine militaire publié par le US Southern Command :
« Chaque année, une flotte de navires de pêche étrangers, principalement en provenance de Chine, navigue le long des côtes sud-américaines, menaçant les ressources marines de la région. Selon l'Organisation régionale de gestion des pêches du Pacifique Sud, la présence de navires chinois pêchant le calmar est allée croissant depuis vingt ans. »
En juin, une énorme flotte de pêche chinoise constituée de près de 300 navires s'est ancrée à proximité des Galapagos, en Équateur, une zone maritime protégée au plan environnemental. Les navires chinois sont restés un mois sur place prélevant « 99% de la pêche visible à la limite extérieure du domaine marin de l'archipel [des Galapagos] entre le 13 juillet et le 13 août », selon une dépêche Reuters. Ils ont pêché les calmars, qui sont une nourriture essentielle pour les espèces rares de phoques et de requins des Galapagos, et aussi les poissons qui, habituellement, sont commercialisés dans les circuits de l'économie locale. En 2017, l'Équateur a emprisonné 20 pêcheurs chinois pour avoir capturé 6600 requins au large de la réserve marine des Galapagos. Les requins sont utilisés dans la soupe aux ailerons de requin, un plat de la gastronomie chinois.
Dans le Pacifique Sud, selon deux anciens responsables américains, « la pêche illégale et non réglementée des navires chinois est pratique courante aux Samoa américaines et à Guam et aussi plus à l'est vers Hawaï ». La surpêche est si préjudiciable aux habitants qu'une conserverie de thon des Samoa américaines, l'un des plus importants employeurs de l'île, a dû suspendre temporairement ses activités faute de poisson.
La flotte de pêche chinoise, cependant, ne se limite pas à la pêche. Dans un rapport d'août 2020 publié par la Yale School of the Environment, le journaliste d'investigation Ian Urbina a écrit :
« Dans le contexte des aspirations géopolitiques plus larges de la Chine, les navires de pêche commerciale font office de milices paramilitaires. Leurs pratiques sont présentées par le gouvernement chinois comme les actes de personnes privées agissant à partir d'une armada ostensiblement privée, mais ces navires de pêche mènent des actions d'appropriation territoriales qui repoussent les pêcheurs ou les gouvernements qui contestent les revendications de souveraineté de la Chine, lesquelles englobent presque toute la mer de Chine méridionale. »
La manière dont la Chine utilise sa flotte de pêche pour affirmer sa puissance et ses revendications territoriales s'est illustrée pleinement en mars : un essaim de plus de 200 navires de pêche chinois s'est ancré au récif de Whitsun, dans la zone économique exclusive des Philippines[1] en mer de Chine méridionale. En 2018, plus de 90 bateaux de pêche chinois avaient déjà jeté l'ancre à quelques miles de l'île philippine de Thitu, peu après que le gouvernement philippin ait investi dans les infrastructures de l'île.
En septembre, les garde-côtes américains ont publié un rapport intitulé « Perspectives stratégiques de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée ». Ce rapport a servi de préambule à une déclaration « d'engagement des garde-côtes américains dans le but de coordonner un effort mondial pour lutter contre l'exploitation illégale des stocks de poissons de l'océan et protéger nos intérêts nationaux ». Le rapport a souligné la nécessité de « 1 - Promouvoir des opérations ciblées, efficaces et fondées sur le renseignement pour lutter contre la fraude ; 2 - Contrer le comportement prédateur et irresponsable des États et 3 - Élargir la coopération multilatérale en matière de lutte contre la fraude ».
Un appel a été aussi lancé pour exhorter à une coalition intergouvernementale et mettre en place des partenariats. En avril, la garde côtière et la marine des Etats Unis ont lancé une mission conjointe dans le Pacifique occidental et central pour lutter contre la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (pêche INN) et renforcer la sécurité régionale. En février, l'Office of Intelligence and Analysis, une agence du département de la sécurité intérieure, a recommandé aux États-Unis « de prendre l'initiative d'une coalition multilatérale avec les nations sud-américaines pour repousser les pratiques de pêche et de commerce illégales de la Chine ».
[1] Selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, les nations contrôlent les ressources marines dans une « zone économique exclusive» de 200 milles.