(Photo de Lionel Bonaventure /AFP via Getty Images) |
Marine Le Pen et Emmanuel Macron s'affronteront au second tour de l'élection présidentielle française le 24 avril prochain. Au soir du premier tour, Emmanuel Macron président sortant, est arrivé en tête avec plus de 27,84% des suffrages, suivi par Marine Le Pen (Rassemblement National (23,15%).
Ce résultat n'avait rien d'évident. Voilà, quatre mois, Eric Zemmour, journaliste, faisait une percée fulgurante dans les sondages et obligeait tous les adversaires à se saisir de son thème favori : la lutte contre l'immigration. Zemmour apparaissait même en position de supplanter Marine Le Pen et de rivaliser avec Macron.
Las, Vladimir Poutine a bouleversé toutes les prévisions. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a surpris tout le monde, à commencer par Eric Zemmour qui a mis du temps à condamner l'invasion russe. Les médias ont ensuite rappelé qu'en 2013, Eric Zemmour avait qualifié Vladimir Poutine « d'homme de l'année » et que le même Zemmour avait rêvé en 2018, d'un « Poutine français ». Concernant, les réfugiés ukrainiens, Eric Zemmour a aussi estimé qu'ils seraient mieux en Pologne qu'en France, ce qui été perçu comme un manque de cœur. Bref, comme l'écrit le Christian Science Monitor, « Les partis d'extrême droite admiraient Poutine. Maintenant, ils sont coincés » (« Europe's far-right parties admired Putin. Now they're stranded »).
La guerre en Ukraine a eu un autre inconvénient : les hausses de prix (énergie, produits alimentaires...) ont fait du pouvoir d'achat un thème de campagne majeur, au détriment de l'immigration musulmane qui était au cœur du débat jusqu'en mars.
Alors qu'Emmanuel Macron apparait bien parti pour être réélu, quel bilan est-il possible de tirer de son quinquennat ? Cinq ans durant, la présidence d'Emmanuel Macron a été marquée par des scandales politiques qui avaient tous la même origine : une volonté de ce banquier d'affaires devenu président de faire fonctionner l'Etat comme une start up, c'est à dire de faire fonctionner l'Etat sans les services de l'Etat.
Cinq ans durant, Emmanuel Macron a tenté de construire - aux frais du contribuable - un système parallèle qui marginalise les corps intermédiaires (les deux Assemblées, les maires, les régions et même les administrations centrales). Au nom de l' »efficacité », Emmanuel Macron a ainsi tenté de créer une milice privée qui court circuite l'organisation de la sécurité à la présidence de la République (Affaire Benalla), et au nom de l'efficacité, il a demandé aux sociétés de conseil (McKinsey ; Boston Consulting Group, Accenture ...) de construire des politiques (écologie, santé, sécurité, travail, retraite...) en lieu et place des grandes administrations centrales.
La crise du Covid a été l'apothéose de ce fonctionnement de l'Etat sans l'Etat. Bien que la France soit l'un des pays parmi les plus organisés du monde au plan sanitaire, le chef de l'Etat a choisi de gérer la crise en direct avec le cabinet McKinsey.
« Mais pour gérer cette crise (du covid), le pouvoir politique, notamment par manque de confiance dans les institutions de la République, a préféré passer outre les dispositifs et compétences existantes pour confier des missions stratégiques à des cabinets de consulting » explique François Alla, professeur de santé publique et directeur adjoint de l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement (ISPED.
Barbara Stiegler, philosophe, affirme elle aussi que :
« ce recours au consulting trahit la profonde défiance de ces nouveaux dirigeants, venus du monde du monde du business et de l'entreprise, envers l'État et le savoir académique. En s'enfermant dans son Conseil de Défense, Emmanuel Macron a choisi de trancher, à la fois sans l'État et sans les chercheurs, toutes les grandes orientations de la crise sanitaire. »
La méfiance d'Emmanuel Macron envers l'Etat s'est doublée aussi d'une méfiance envers le peuple français. Emmanuel Macron est l'homme qui a régulièrement insulté les Français et les Français pauvres en particulier.
- Alors qu'il est encore ministre de l'Economie, Emmanuel Macron a traité les ouvrières de l'abattoir Gad dans le Finistère d'« illettrées ».
- A Lunel, dans l'Hérault, le 27 mai 2016, il a insulté deux ouvriers grévistes. « Le meilleur moyen de se payer un costard, c'est de travailler »
- A Hénin Beaumont, en 2017, il a porté un regard méprisant sur le monde ouvrier « dans ce bassin minier (...) il y a beaucoup de tabagisme et d'alcoolisme » (LCI. 14 janvier 2017)
- En 2017 encore, à Athènes (Grèce), Macron a jugé que « La France n'est pas un pays qui se réforme »
- Au Danemark, le 30 aout 2018, il a critiqué les Français, ces « Gaulois réfractaires au changement »...
Cette méfiance et le mépris ont été à l'origine de la révolte des Gilets Jaunes. En 2019, une hausse du prix de l'essence a provoqué une révolte des classes populaires blanches, celles que la mondialisation a relégué à la périphérie des grandes villes et qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler. Cette révolte méprisée par le pouvoir – mais soutenue longtemps par la majorité de la population -, a été réprimée par la police avec la plus extrême violence.
Cependant, Emmanuel Macron n'a pas méprisé tout le monde. Il a accordé la plus grande considération à l'islam et à l'immigration musulmane. Sous son quinquennat, l'immigration en provenance d'Afrique, d'Afrique du Nord et d'Asie n'a pas été considérée comme un danger, mais comme une « chance » pour la France. Pour Emmanuel Macron, la Seine Saint Denis qui sans doute le département le plus islamisé de France, n'a pas été perçu comme un lieu névralgique du trafic d'armes et du trafic de cocaïne mais comme un lieu de potentialités sans équivalents, une « Silicon Valley » en quelque sorte.
Pendant le quinquennat d'Emmanuel Macron, deux millions de migrants musulmans en plus se sont installés en France et la France a connu une polémique permanente sur l'islam et les femmes voilées.
Pendant ce même quinquennat, l'insécurité a touché toutes les strates du pays : en France, une agression se produit toutes les 44 secondes et la police se heurte à un refus d'obtempérer toutes les 30 minutes. En France, la gauche politique et les médias font la guerre à la police (au nom de la lutte antiraciste) pendant que dans les banlieues les patrouilles de police sont attaquées au sens militaire du terme sur une base quotidienne. « Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, les agressions de policiers ont augmenté de 40 % entre 2009 et 2019, passant de 26.721 à 37.431 ». En 2020, Gerald Darmanin, ministre de l'intérieur, a assuré que « plus de 20 agressions par jour de policiers » étaient recensées en France.
Sous Emmanuel Macron l'endettement est passé de 100% à 113% du PIB et le chômage est demeuré à un niveau élevé, proche de 10% de la population active.
Malgré ce bilan catastrophique, il est vraisemblable qu'Emmanuel Macron sera réélu le 24 avril prochain. Qui sont ses électeurs ? Précisons tout d'abord qu'un électeur sur quatre n'est pas allé voter. Or c'est précisément l'électorat de Marine Le Pen qui pâtit de cette situation : à savoir les jeunes et une partie des classes populaires manquent à l'appel. « L'âge et l'isolement « social » nourrissent effectivement très significativement l'abstention. En clair, les catégories sociales qui profitent peu du système économique et social actuel – les plus pauvres, les moins diplômés s'abstiennent » explique Paul Cebille, spécialiste des sondages.
Une partie des musulmans a voté pour lui (mais la majorité à voté pour Jean-Luc Mélenchon). Enfin, les électeurs de Macron sont surtout les cadres et les habitants des grandes villes qui profitent de la mondialisation mais aussi les retraités qui, nombreux en France, aspirent à la stabilité.
Ils ne sont pas la majorité, mais presque tous sont allés voter.
Yves Mamou, journaliste et essayiste a travaillé plus de vingt ans au journal Le Monde