S'il est une chose qui embarrasse les vrais amis d'Israël, c'est bien la question des implantations (ou colonies de peuplement) au-delà de la « ligne verte » (un terme trompeur, comme nous le verrons). Le processus est désormais rodé : un homme politique étranger arrive à Jérusalem et prononce un discours authentiquement admiratif sur l'Etat d'Israël et ses réalisations, lequel se conclut généralement par un cri de détresse concernant sa politique d'implantations qu'il juge « illégale au regard du droit international ».
Ces amis d'Israël commettent, comme nous allons le démontrer, une erreur fondamentale. En raison du caractère interminable des négociations sur une « solution à deux Etats », le conflit entre Israéliens et Palestiniens est appréhendé comme s'il avait toujours été une guerre entre deux Etats. En fait, il a commencé comme une guerre civile sous le mandat britannique en Palestine et s'est poursuivi comme tel jusqu'à la fin des années 1980. A cette époque, presque toutes les colonies de peuplement existaient déjà. Par conséquent, les dispositions du droit international qui pourraient leur être appliquées sont celles qui se rapportent aux guerres civiles, et non à des guerres interétatiques.
De quelques préalables
Pour commencer, mettons de côté les questions dont la réponse est relativement simple. Ainsi, l'actuelle occupation israélienne des territoires acquis au cours de la guerre des Six jours en 1967 n'est pas illégale en soi, car elle est la conséquence d'une agression commise par les Etats voisins. Les hostilités avec l'Egypte ont commencé quand l'Egypte a organisé le blocus du port israélien d'Eilat, un acte d'agression suivi de la demande égyptienne à l'Organisation des Nations Unies de retrait des Casques bleus postés à la frontière entre les deux Etats (préliminaire évident à d'autres actes d'agression). Les hostilités avec la Jordanie ont démarré avec le bombardement jordanien de la partie israélienne de Jérusalem. Quant à la Syrie, ce pays a des années durant, procédé à des incursions sur le territoire israélien et bombardé des villages israéliens à partir des hauteurs du Golan. Un récent rapport d'experts (2012) du Comité international de la Croix-Rouge a souligné que le droit humanitaire international « ne fixe pas de limites à la durée d'une occupation » (voir p 72) ; en revanche dit-il, plus une occupation dure, plus la « puissance occupante » se doit d'investir dans la mise à niveau des infrastructures, etc., pour le bien-être des populations.
Second point, l'exportation des biens et services issus des colonies de peuplement israéliennes, est légale sur la plupart des marchés du monde. Dans l'Union européenne (UE), cette commercialisation est légale à deux conditions. La première est impérative : ces produits ne bénéficient pas des réductions de droits de douane institués par les accords commerciaux signés entre Israël et l'UE, parce que ces accords s'appliquent explicitement au territoire israélien pré-1967. L'autre condition est facultative : la Commission européenne recommande d'assortir ces produits d'un étiquetage spécifique ; en novembre 2015, il était question d'une directive qui aurait rendu cet étiquetage obligatoire, mais l'agitation qui a suivi a amené la Commission a admettre que chaque gouvernement européen demeurait libre d'exiger ou non un étiquetage des produits, tout en soulignant qu'il ne représentait en aucun cas un boycott et que l'UE est opposée à tout boycott d'Israël. (Voir ici pour une discussion approfondie de la question, notamment au regard de la situation faite à autres territoires contestés.)
Certains ont accusé l'UE d'antisémitisme dans la mesure où ses recommandations visent exclusivement Israël, sans extension aux autres territoires occupés ou contestés de par le monde. Mais ces accusations trop générales doivent être maniées avec prudence. Certains fonctionnaires de l'UE peuvent agir sous le coup d'une antipathie pour les juifs, mais plusieurs dirigeants européens ont tenu à préciser que l'étiquetage ne correspond pas à un boycott et ont pris de plus des mesures exceptionnelles contre le boycott d'Israël – dont certaines par voie législative pour punir les boycotteurs. Accuser les dirigeants européens d'antisémitisme est tout à la fois injuste et imprudent.
Reste la question de savoir si les implantations israéliennes sont illégales. Ici aussi, une simplification par les hauteurs du Golan est possible. Le Golan étant partie intégrante du territoire syrien avant 1967, il existe donc un argument fort pour dire que les colonies israéliennes sur le Golan sont illégales (sauf là où la Syrie a empiété au-delà de sa frontière entre la fin de l'ancien mandat français et la fin du mandat britannique). Mais la guerre civile qui sévit en Syrie et le fait que presque tous les belligérants (à l'exception des Kurdes peut-être) sont fanatiquement opposés à l'existence d'Israël, rend cette question définitivement inactuelle. Ce qui peine les amis d'Israël, et d'autres qui au moins tolèrent l'existence d'Israël, se réduit à un territoire litigieux entre Israéliens et Palestiniens. Nous ne considèrerons donc que lui.
Un autre préalable s'impose : il existe des différences fondamentales entre le droit national et le droit international. Le droit national repose sur un organe législatif qui peut décréter ou modifier la loi et sur un système judiciaire qui met la loi en application. Le droit international ne dispose ni de l'un, ni de l'autre. A l'époque de la Grèce antique et à Rome, cette carence était palliée par un système de croyances : ainsi, la mise à mort d'ambassadeurs et de hérauts, ne pouvait être qu'odieuse aux dieux qui puniraient les coupables (épidémies, famines ou autres). Autrement dit, les dieux énonçaient le droit international et l'appliquaient. L'Iliade d'Homère s'ouvre sur un exemple type.
Aujourd'hui, ces conceptions théologiques - qui intimidaient les Anciens et leur imposaient un certain niveau de moralité - sont considérés comme pittoresques et démodées. Néanmoins, le droit international repose en partie sur ces coutumes anciennes qui ont survécu (même après que la justification initiale ait disparu) et en partie sur des traités entre Etats. Certes, des lacunes subsistent ; et les combler est le jeu préféré de ceux qui se positionnent comme juristes internationaux et qui débattent entre eux.
Consensus international et droit international
Au début de l'année, un professeur européen en visite à Jérusalem a prononcé une conférence pour nous expliquer « ce que dit le droit international » sur le conflit d'Israël avec les Palestiniens. Il disait « le » conflit du Proche-Orient, comme si le droit international avait peu à dire des conflits bien plus sanglants qui engloutissent actuellement le reste de la région.
Sa présentation a consisté en une énumération de résolutions émises par différents organismes des Nations Unies pour condamner les implantations israéliennes. Plus intéressantes étaient ses réponses à certaines questions.
Une question portait sur le caractère non contraignant des résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU et sur le fait que même certaines résolutions du Conseil de sécurité, pour être exécutoires, devaient éviter le veto de l'un ou l'autre des membres permanents de ce même Conseil de sécurité et ensuite être adoptées au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Par conséquent, les résolutions qu'il avait citées pouvaient certes être considérées comme l'expression d'un consensus international, mais depuis quand et surtout comment un consensus international se transforme-t-il en droit international ? « Ceci », a répondu le professeur, « est la question la plus importante du droit international ! » Selon lui, si suffisamment d'acteurs internationaux énoncent une chose identique et la répètent sur la durée, alors cet énoncé a force de loi internationale.
Il est clair que cette réponse est problématique. Considérez l'UNESCO : cet organisme des Nations Unies dispose d'un Secrétariat professionnel, qui essaie de faire un travail scientifique solide, mais son organe directeur est un Conseil international composé d'autant de membres qu'il existe de pays membres. Dans les décisions du Conseil international, les intérêts politiques priment sur l'avis scientifique. Récemment, le Conseil international a adopté une résolution parrainée par des pays arabes qui a dénoncé l'activité israélienne dans et autour de « al-Aqsa / Al-Haram al-Sharif ». Non seulement la résolution n'a pas mentionné qu'il s'agissait du Mont du Temple, mais a également accusé Israël d'« installer de fausses tombes juives dans des cimetières musulmans » et de « continuellement transformer de nombreux vestiges islamiques et byzantins en soi-disant bains rituels juifs ou lieux de prière juifs ».
Et pourtant, il existe d'anciennes tombes, des bains rituels et des sites religieux juifs ; ils n'ont rien de fabriqué. Prétendre le contraire revient à faire sien le nauséeux mensonge que l'Autorité palestinienne (AP) promeut depuis plusieurs années : à savoir, qu'il n'y a jamais eu de temples juifs sur le Mont du Temple et que les Juifs sont une invention médiévale européenne qui n'entretient aucun lien historique avec la terre d'Israël. À son crédit, la Secrétaire générale de l'UNESCO a exprimé sa consternation face à cette violation de toutes les normes professionnelles. La majorité pro-palestinienne automatique qui s'est formée dans les différents organismes des Nations Unies peut cependant, faire en sorte que le mensonge soit répété de résolution en résolution. Si l'on prend en considération le critère du professeur, le grand mensonge et tous les petits mensonges qui y sont associés finiront par s'ancrer dans le droit international ; agir au mépris de ces mensonges reviendra alors à agir en violation du droit international.
Un second intervenant a fait remarquer que la plus célèbre résolution de l'Assemblée générale des Nations Unis (29 novembre 1947) a approuvé un plan de partage de la Palestine mandataire en un Etat à majorité juive et un Etat à majorité arabe. Mais le territoire initialement proposé aux juifs était plus petit que l'État d'Israël qui a émergé de la guerre d'indépendance de 1949. En particulier, le nord-ouest d'Israël - de Haïfa à la frontière libanaise – aurait dû revenir à l'Etat arabe. Dans ce contexte, pourquoi le droit international a-t-il autorisé le transfert d'un territoire en principe contrôlé par les arabes, aux juifs ?
Le professeur a répondu que le droit international a évolué entre 1949 et 1967. En 1949, il était encore permis à un Etat d'acquérir un territoire par la force. Mais à partir de 1967, il est devenu interdit d'accroitre son territoire, même à la suite d'une guerre défensive.
Cette réponse laisse pantois. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'Union soviétique a accaparé le territoire de plusieurs Etats situés à l'ouest de ses frontières : la Carélie en Finlande, les trois républiques baltes, la moitié de la Pologne d'avant-guerre, la Transcarpatie tchèque et la Moldavie (Bessarabie et Bucovine du Nord) roumaine. Ce vol de territoire massif continue d'être sanctifié par le droit international (seul l'éclatement de l'Union soviétique a permis à certains peuples d'échapper à l'asservissement). En revanche, la construction d'une douzaine de maisons israéliennes en Samarie passe pour une « violation du droit international ».
Quand cette évolution a-t-elle eu lieu ? Le professeur a suggéré « la fin de l'époque coloniale », mais il est possible d'être plus précis. L'Ukraine et la Biélorussie bien que rattachées à l'Union soviétique, étaient membres fondateurs de l'ONU et siégeaient toutes deux à l'assemblée générale des Nations unies ; au regard du droit international, l'Ukraine et la Biélorussie étaient des Etats indépendants. En 1954, quand le Soviet suprême a décrété le transfert de la Crimée à l'Ukraine, sans se préoccuper des sentiments des populations, le droit international a paru apparemment le tolérer. Mais en 2014, quand la Russie a récupéré la Crimée, après un référendum au cours duquel 94% des votants ont approuvé cette transformation, ce rattachement de territoire est devenu une violation du droit international.
L'évolution du droit international aurait donc eu lieu entre 1954 et 1967. Rappelons qu'Israël a conquis la péninsule du Sinaï à deux reprises : en 1956 et 1967. La première fois, il aurait pu l'annexer en toute impunité ; la deuxième fois, il aurait été trop tard. Du moins, est-ce ainsi que les choses peuvent être présentées.
A la fin de sa conférence, le professeur semblait passablement en colère, mais pas spécialement contre Israël. Il s'est plaint de ces « annexions rampantes » partout dans le monde, au mépris du droit international. En tant que spécialiste, il paraissait furieux et impuissant.
Dans Oliver Twist, M. Bumble proteste : « Si la loi suppose cela, la loi est une idiote... et ce que je puis lui souhaiter de pis c'est d'en faire l'expérience ; cela lui ouvrirait les yeux ». (Telle était la conviction permanente de Dickens, d'autres romans en témoignent.) Apparemment, tous les « annexeurs » rampants savent d'expérience que le droit international est une « idiote ».
Mais si l'on revient au problème de la Ligne Verte, il est possible d'identifier l'erreur que le professeur et ses collègues d'accord avec lui, ont commis. Le point crucial est l'interprétation de la Quatrième Convention de Genève de 1949, qui dit, entre autres : « La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ». Cette déclaration se situe à l'article 49 de la section III de la partie III de la Convention.
Le professeur a reconnu que plusieurs juristes internationaux, pas tous Israéliens, s'opposent à l'application de la Convention pour les territoires situés au-delà de la Ligne verte : certains font valoir que l'article 49 a été formulé pour empêcher le retour des déportations de type nazi ; d'autres remarquent que ces zones n'appartenaient à aucun Etat en 1967, et que les juifs qui ont choisi d'y vivre, l'ont fait de leur plein gré sans que les différents gouvernements israéliens aient procédé à des « déportations » ou des « transferts » ; même si ces gouvernements ont planifié et approuvé les colonies. Avec justesse, le professeur a affirmé que son point de vue est étayé par le consensus qui s'est dégagé des nombreuses résolutions citées au cours de sa conférence, certaines de ces résolutions émanant des pays signataires de la Convention de Genève elle-même (décembre 2014 pour la plus récente).
Que l'on nous permette de suggérer une solution à ce différend, une suggestion qui semble n'avoir jamais avoir été émise à ce jour. Et qui ne figure pas dans le rapport Levy Edmond de 2012, dont certains arguments et conclusions sont disponibles en deux traductions anglaises .
La Quatrième Convention de Genève contient un Titre I qui s'applique aux guerres civiles et aux guerres entre Puissances, étant entendu que le corps principal de la Convention traite des guerres entre Puissances. Or, le conflit entre Israéliens et Palestiniens a commencé comme une guerre civile sous le Mandat britannique en Palestine et s'est poursuivi comme telle, au moins jusqu'à la fin des années 1980. Par conséquent, sur cette période, c'est le Titre 1 de la Convention qui s'applique au conflit israélo-palestinien, y compris les colonies de peuplement israéliennes au-delà de la Ligne verte. Le Titre III de la même Convention - qui interdit prétendument l'existence de ces colonies - ne peut donc s'appliquer. Le Titre III ne devient pertinent, le cas échéant, que pour les événements postérieurs aux Accords d'Oslo des années 1990.
Pour être précis, l'élément pertinent du Titre I est l'article 3 : « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l'une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenu d'appliquer au moins les dispositions suivantes » : (suivent quelques principes élémentaires sur le traitement des prisonniers et des blessés, mais rien sur les colonies). Cet article 3 se poursuit ainsi : « Les Parties au conflit s'efforceront, d'autre part, de mettre en vigueur par voie d'accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention ». Mais la possibilité d'« accords spéciaux » a été écartée par la Résolution de Khartoum (1er septembre 1967) adoptée par huit Etats arabes, dans l'immédiat après-guerre des Six Jours. La résolution a réitéré « les grands principes auxquels les Etats arabes se conforment, à savoir, pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance d'Israël, pas de négociations avec Israël, et une insistance sur les droits du peuple palestinien dans son propre pays » (c'est-à-dire, leur « droit » à toute la Palestine mandataire).
Plus précisément, un accord mutuel dont le but aurait été d'éviter toute colonie ou implantation juive a été rejeté par l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui a choisi d'insister au contraire sur sa mission fondamentale : détruire l'Etat d'Israël, expulser la majeure partie de sa population juive et la remplacer par des arabes. Par ailleurs, l'article 24 de la première Charte nationale de l'OLP en 1964, excluait expressément la Cisjordanie et Gaza du champ de cette mission, afin de ne pas contrarier la Jordanie ou l'Egypte ; cet article 24 a été omis dans la version révisée de 1968. La Charte de 1968, précise (article 6) que : « Les juifs qui résidaient habituellement en Palestine jusqu'au début de l'invasion sioniste seront considérés comme Palestiniens ». Autrement dit, la quasi-totalité de la population juive d'Israël - qui ne répond pas à ce critère - devra être expulsée. Une preuve suffisante que, pour l'OLP, la guerre contre les juifs s'est perpétuée - même après la guerre des Six Jours – comme une guerre civile pour le contrôle de l'ensemble de la Palestine Mandataire.
Telle était la position unifiée des arabes jusqu'à 1988, date à laquelle le Conseil national palestinien (CNP) a envisagé des négociations avec Israël. En décembre 1988, Yasser Arafat s'adresse à l'Assemblée générale des Nations Unies et admet que le CNP a longtemps « rêvé » d'un Etat unique dans l'ancienne Palestine mandataire. Il ajoute que le CNP a entrepris de s'adapter à la « réalité » et proclame l'avènement d'un Etat palestinien dans les seules zones occupées par la Jordanie et l'Egypte entre 1949 et 1967.
Cette proclamation, bien sûr, n'a pas entrainé la création ipso-facto d'un Etat de Palestine. Les négociations sérieuses sur une solution à deux Etats ont débuté seulement à la Conférence de Madrid de 1991. Entre-temps, Arafat s'est fait haïr des Etats arabes en apportant son soutien à l'occupation du Koweït par l'Irak en 1990 ; et il s'est retrouvé exilé dans le sud du désert libyen parce qu'aucun autre pays n'a voulu l'accueillir. L'OLP n'a pas été non plus autorisée à envoyer une délégation à Madrid. Ne vint dans la capitale espagnole qu'une délégation commune jordano-palestinienne dont les membres étaient des Palestiniens résidents de Cisjordanie et de Gaza. Ce sont les accords dits d'Oslo signés en 1993 et 1995 qui ont commencé à sortir le conflit de la guerre civile pour le replacer dans le cadre d'un conflit entre Etats.
Or, en 1995, la quasi-totalité des implantations israéliennes en Cisjordanie sont en place. Elles sont le produit d'une période de guerre civile et devraient donc être évaluées comme telles.
En fait, nombre d'Israéliens et de Palestiniens pensent et agissent encore aujourd'hui comme s'ils étaient parties prenantes d'une guerre civile qui se poursuivrait sur le territoire de la Palestine mandataire. Les deux continuent à débattre des avantages et inconvénients d'une solution à un Etat ou deux Etats, alors qu'un consensus international s'est dégagé en faveur de la seconde. Ils considèrent que le conflit porte sur un seul pays que deux groupes se disputent, chacun porteur d'une créance totale. Même au sein de la gauche israélienne, nombreux sont ceux qui plaident avec acharnement pour une indépendance palestinienne, tout en regrettant d'abandonner ce cœur historique qu'est la Judée-Samarie par amour de la paix.
Quant aux Palestiniens, ils n'aspirent qu'à rétablir la situation d'avant 1947. Bien que certaines factions palestiniennes se soient déclarées prêtes à un traité de paix sur la base de la Ligne Verte, toutes les factions estiment que le conflit ne sera terminé que lorsqu'une majorité arabe aura été créée en Israël par le retour massif des réfugiés de 1948 et de leurs millions de descendants. Une réunification de Gaza et de la Cisjordanie s'ensuivra alors. De même, tous les sondages d'opinion apportent la preuve que la grande majorité de la population palestinienne ne juge acceptable une « solution à deux Etats » que si elle n'est qu'une étape en vue de constituer un Etat unifié sur le territoire du Mandat Britannique.
Arafat lui-même, malgré ses discours de 1988 en anglais, n'a jamais clairement abandonné la lutte pour l'éradication de l'Etat d'Israël. Le 30 janvier 1996, des propos d'Arafat tenus à huis clos, devant un parterre d'ambassadeurs arabes, à Stockholm, ont fuité dans la presse. Arafat a expliqué que les accords d'Oslo signés avec Israël en 1993 et 1995 ne représentaient pour lui qu'une ruse ; il s'agissait pour l'OLP d'obtenir une base en Palestine, une base à partir de laquelle il rendrait la vie des juifs si misérable que tous voudraient partir. Cette stratégie – qui s'est avéré vaine - a pris la forme d'une seconde Intifada entre 2000 et 2005. Entre temps, Arafat a refusé plusieurs offres israélo-américaines de créer un Etat palestinien qui aurait satisfait toutes les exigences palestiniennes à l'exception du « droit au retour » des réfugiés palestiniens.
Photo : Le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président des Etats Unis, Bill Clinton, et le président de l'OLP Yasser Arafat, à la cérémonie de signature des Accords d'Oslo le 13 septembre 1993. |
Quand les Forces de défense d'Israël (FDI) ont occupé l'Etat-major d'Arafat à Ramallah, en 2002-2004, elles y ont trouvé des autorisations d'achat de ceintures explosives pour kamikazes signées de la main d'Arafat lui-même. Arafat savait ce qu'il signait, comme le montrent les montants raturés de sa main et remplacés par des sommes plus petites. Tout cela en secret ; ses discours publics en arabe incluaient un refrain chanté qui disait « un million de martyrs qui marchent sur Jérusalem ». La signature des accords d'Oslo et son engagement de cesser le terrorisme et l'incitation à la violence étaient vides de sens.
Le successeur d'Arafat, Mahmoud Abbas, a clairement désapprouvé le terrorisme pratiqué par Arafat durant la Seconde Intifada. Non parce qu'il était immoral, mais parce qu'il le jugeait contre -productif. Mais jusqu'à aujourd'hui, l'incitation à la violence continue : un dossier de Palestinian Media Watch a montré, à l'aide de nombreux exemples, comment cette incitation se déploie à travers les médias et le système éducatif palestiniens ainsi qu'à travers les cérémonies publiques en présence de personnalités de l'OLP, du Fatah et de proches d'Abbas lui-même.
La Ligne Violette
ll y avait à l' origine deux mandats français, l'un au Liban et l'autre en Syrie, et deux mandats britanniques, l'un en Irak et l'autre en Palestine. Tous les quatre sont aujourd'hui le théâtre de guerres civiles sans issues. La Palestine a été la première et la moins sanglante de ces guerres civiles. (Même au Liban, le nombre de victimes passe pour être plus élevé et le nombre final est susceptible de s'accroître tant que le Hezbollah constitue un Etat dans l'État lourdement armé.)
Il est probable qu'aucune de ces guerres civiles soit jamais résolue, sauf à multiplier le nombre des Etats au Moyen Orient. Le consensus international - avec l'obstination d'une « idiote » - juge cette solution inadmissible, sauf dans le cas de la Palestine mandataire. Là seulement, le consensus est général sur une partition obligatoire. Le consensus estime aussi que la « Ligne verte » établie lors de l'Accord d'armistice entre Israël et la Jordanie en 1949, est la limite appropriée pour séparer les Etats israélien et palestinien, sous réserve des modifications convenues entre les deux parties.
Le défaut de ce consensus est qu'il traite d'une guerre civile comme d'une guerre entre Etats et propose une demi-mesure qui ne correspond à aucune sorte de guerre. Rien d'étonnant que plusieurs décennies de tentatives d'imposer une idée aussi fausse n'aient abouti à rien. Que l'idée soit fausse se démontre par un bref examen historique. En rappeler les principales caractéristiques permet aussi de montrer que l'histoire se lit mieux au prisme de la guerre civile entre habitants d'un même territoire.
Le mandat britannique sur la Palestine a été accordé par la Société des Nations en 1922, peu après sa création (janvier 1920) et la Conférence de San Remo (avril 1920). Son but précis incluait la réalisation de la Déclaration Balfour (2 novembre 1917) :
« Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays ».
La Puissance mandataire s'est aussi vue octroyer le pouvoir discrétionnaire d'exclure la Transjordanie des dispositions concernant le foyer national juif. La Grande-Bretagne a, dès 1923, nommé son allié, l'Emir Abdallah, pour y régner. Lorsque la Transjordanie a acquis son indépendance en 1946, Abdallah est devenu roi.
Au début du mandat, la population à l'ouest du Jourdain représentait moins d'un million de personnes. Moins de 15% d'entre elles étaient juives, mais leur nombre augmentait rapidement au fur et à mesure que le projet de création d'un foyer national juif suivait son cours. L'hypothèse de départ était que la région acquerrait son indépendance et que, comme la Transjordanie, elle demeurerait sous tutelle britannique. Les dirigeants arabes – religieux et intellectuels – se sont opposés non seulement au projet, mais au mandat lui-même, réclamant une indépendance immédiate et refusant de participer à un quelconque gouvernement provisoire.
Des émeutes fomentées par les dirigeants arabes ont éclaté de manière sporadique dès 1920. Le massacre des juifs de Hébron par les arabes en 1929, fut particulièrement horrifiant. La Grande Révolte arabe (1936-1939) a commencé par des attaques arabes sur les juifs, mais s'est révélée être une opportunité pour le clan Husseini de tuer ou d'expulser une grande partie du clan rival, les Nashashibi.
On a ici le modèle de toutes les explosions de violence qui auront lieu jusqu'à aujourd'hui, y compris les affrontements entre le Fatah et le Hamas : cela commence par une guerre civile des arabes contre les juifs et se poursuit par une guerre civile entre arabes. Simultanément, toutes les parties nourrissent l'ambition de gouverner le pays tout entier. Cette situation n'a pas empêché nombre de juifs et arabes d'entretenir des liens d'amitié, qui duraient jusqu'à ce qu'une émeute éclate. A Hébron, de nombreux juifs ont été cachés par des amis arabes, tandis que d'autres ont partagé le thé avec des arabes, avant de mourir assassinés par ces mêmes amis arabes, le lendemain au cours de l'émeute. Ce genre de situations est typique des guerres civiles, ainsi que l'a montré la guerre dans l'ex-Yougoslavie.
Les Britanniques ont tenté deux approches pour mettre fin à la Grande Révolte arabe. La première a été de nommer la Commission Peel (1937), qui a recommandé la partition du territoire en un État juif, comprenant la Galilée et une bande le long de la côte à Tel-Aviv, et un Etat arabe lié à la Transjordanie. Mais les deux Etats étaient censés entretenir des relations étroites : les contribuables étant majoritairement juifs, l'Etat juif devait payer une subvention annuelle à l'Etat arabe. Le leadership juif incarné par David Ben Gourion a accepté le principe de la partition – dans l'espoir certes d'obtenir plus - mais les dirigeants arabes l'ont rejeté catégoriquement.
La seconde approche a consisté à tenter de réprimer la révolte arabe avec l'aide des juifs, mais à publier un Livre blanc (mai 1939) qui annulait l'idée d'un foyer national juif (tout en affirmant le réaliser). Ainsi, seuls 75 000 juifs auraient été autorisés à immigrer en Palestine sur cinq ans, après quoi toute nouvelle immigration juive aurait été soumise à l'accord arabe (c'est-à-dire bloqué). La Palestine deviendrait indépendante au bout de dix ans. Le Livre blanc fut accepté par les dirigeants arabes sous Amin al-Husseini, mais rejeté par les juifs. Lorsque la seconde guerre mondiale éclata quelques mois plus tard, Ben Gourion eut cette phrase célèbre : « Nous allons combattre le Livre blanc comme s'il n'y avait pas la guerre, et nous combattrons à la guerre comme s'il n'y avait pas de Livre blanc ».
Une minorité de juifs est même allée plus loin en planifiant une insurrection armée contre les Britanniques. Cette révolte a commencé dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale et a continué jusqu'à ce que, le gouvernement britannique annonce, début 1947, son intention de quitter la Palestine l'année suivante. Un plan de partition tout frais fut approuvé le 29 novembre, par l'Assemblée générale de l'ONU, et les Britanniques fixèrent au 14 mai 1948 la fin de leur administration.
Dans le cadre du plan de l'ONU, le Nord-Est, le Centre-Ouest et le Sud-Est du territoire mandataire furent attribués à l'Etat juif ; le Nord-Ouest, le Centre-Est et le Sud-Ouest (plus l'enclave de Jaffa) allèrent à l'État arabe. Jérusalem et Bethléem devaient bénéficier initialement d'un « régime international spécial ». A l'évidence, une telle division en zones partait de l'idée qu'une étroite coopération entre les deux Etats rendrait l'ensemble viable. A bien des égards, les deux Etats fonctionneraient comme une seule entité.
Les dirigeants juifs, une fois de plus, ont accepté provisoirement, en émettant des réserves notamment sur la sécurité des Juifs de Jérusalem. Les dirigeants arabes eux, ont rejeté immédiatement le plan de partage, le rendant ainsi impraticable, pendant que des « irréguliers » arabes ont commencé à attaquer les Juifs un peu partout. Les derniers mois de l'administration britannique ont représenté à cet égard, la première phase de la guerre civile, les Arabes enregistrant de nombreux succès initiaux, mais les Juifs finissant par contre attaquer - au moins dans les régions du nord et du centre – sécurisant les zones qui leur avaient été promises et plus encore, y compris un corridor reliant la côte centrale aux quartiers juifs de Jérusalem. Le 14 mai, ils proclamèrent l'Etat d'Israël sur les territoires qu'ils contrôlaient.
La deuxième phase commença au lendemain de cette proclamation. Les armées des Etats arabes environnants, renforcées de contingents militaires de plusieurs autres pays, commencèrent d'envahir le jeune Etat juif. Encore une fois, les Arabes enregistrèrent de grands succès initiaux. Mais très vite, les Juifs réussirent à mobiliser des forces plus importantes, les dotèrent d'armes qu'ils avaient réussi à importer, et conquirent des territoires au-delà de ce qui leur avait été alloué initialement. Il apparut que les Arabes n'étaient pas unis sur un but. Le roi Abdallah a cherché à annexer autant de terres qu'il était possible, pendant que les autres Etats arabes souhaitaient transformer toute la Palestine Mandataire en un Etat arabe unique. Ainsi, bien que les forces jordanienne et égyptienne soient arrivées ensemble aux portes du kibboutz Ramat Rachel, en banlieue sud de Jérusalem, leur incapacité à coopérer a grandement contribué à maintenir le kibboutz entre les mains des juifs. Au début de 1949, alors que la guerre touchait à sa fin, Ben Gourion fut informé que les Forces de défense d'Israël étaient en état de repousser la Légion arabe jordanienne de l'autre côté du Jourdain. Mais il fit le choix d'expulser l'armée égyptienne de tout le sud du pays.
La guerre a pris fin avec la signature de quatre accords d'armistice entre Israël et ses voisins arabes. Pour la Jordanie, une ligne violette et une ligne verte ont été tracées sur une carte. Les représentants israéliens (Yigal Yadin et Walter Eytan) ont signé la ligne violette qui indiquait sur la carte leur ligne de front ; le lieutenant-colonel Coaker de la Légion arabe a signé la verte qui indiquait la ligne de front jordanienne. Une partie de la carte peut être visualisée ici et toute la carte est déployée dans cette vidéo . A certains endroits où l'écart entre les deux lignes est particulièrement large, comme au Sud-Est de Jérusalem, Google Maps indique deux lignes pointillées distinctes.
L'habitude de se référer à ces deux lignes par une désignation unique comme « la ligne verte » peut être pratique, mais peut aussi se révéler trompeuse. Aujourd'hui, plus aucun politicien ou journaliste n'est au courant de l'existence de deux lignes, ni qu'elles indiquaient des positions militaires plutôt que le tracé d'une frontière. C'est sur l'insistance des Etats arabes que tous les accords d'armistice ont inclus une déclaration en ce sens. Dans les cas jordanien et libanais, le libellé était le suivant :
« Il est également reconnu qu'aucune disposition du présent Accord ne peut, en aucun cas, porter atteinte aux droits, revendications et positions de l'une des Parties dans le règlement pacifique définitif de la question de la Palestine, les dispositions du présent Accord étant dictées exclusivement par des considérations militaires ».
L'accord d'armistice signé avec la Syrie reprend la même idée plus clairement encore en remplaçant les mots « par des considérations militaires » par « par des considérations militaires, et non pas politiques ». La formulation égyptienne utilise plus de mots encore pour dénuer ce point de l'Accord d'armistice du moindre risque d'ambiguïté.
Dans tous les cas, l'objectif était de refuser reconnaissance et légitimité à l'Etat d'Israël et d'insister pour que les arabes conservent leur droit à l'ensemble de la Palestine mandataire. Ainsi, en juin 1967, quand l'armée israélienne a enfoncé les lignes violette et verte, elle n'a pas franchi une frontière, mais bousculé de simples lignes de cessez-le-feu devenues inopérantes en raison d'une violation massive de l'accord d'armistice israélo-jordanien par le Royaume de Jordanie.
Le 24 avril 1950, le royaume de Jordanie a annexé la zone qu'il occupait. Le roi achevait ainsi un processus entamé à Jéricho le 1er décembre 1948, jour où plusieurs milliers de notables palestiniens habitant les zones contrôlées par la Jordanie ont respectueusement supplié le roi Abdallah d'agir ainsi. Aucun autre Etat arabe n'a reconnu cette annexion ; la Ligue arabe plus tard l'a acceptée à-demi, en insistant sur l'idée que la zone était confiée à la Jordanie en attendant que les circonstances permettent aux Palestiniens de la récupérer. En effet, le 22 septembre 1948, la Ligue arabe a mis en place un « Gouvernement de toute la Palestine », reconnu de tous les pays-membres, sauf la Jordanie ; ledit gouvernement est rapidement devenu un outil entre les mains de l'Egypte pour organiser l'envoi de terroristes en Israël.
La Jordanie modifia sa constitution pour que la composition du Parlement reflète un équilibre entre la « East Bank » et la « Cisjordanie », comme elle est aujourd'hui nommée. Dans le monde, seule la Grande-Bretagne (certains ajoutent le Pakistan) a reconnu cet autre « Royaume-Uni ». La dernière élection a eu lieu en avril 1967, juste avant la guerre des Six Jours ; les élus Cisjordaniens ont conservé leur siège jusqu'à ce que la Jordanie rétrocède finalement la représentation des Palestiniens à l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1988. Curieusement, le remplacement des noms millénaires « Judée » et « Samarie » (en arabe : يهودا والسامرة) par « Cisjordanie » a fait l'objet d'un consensus international qui a toujours nié que le terme ait été inventé pour nier la validité des noms d'origine.
A partir de 1949, l'Egypte a parrainé de multiples incursions de terroristes palestiniens en Israël. Après la guerre des Six Jours, ces incursions se sont poursuivies à partir de la Jordanie, provoquant des représailles israéliennes. Il y eut aussi des affrontements entre des groupes paramilitaires palestiniens et la police jordanienne, jusqu'à ce qu'en 1970-71, le roi Hussein ordonne à son armée de réprimer les groupes armés palestiniens et expulse la direction de l'OLP. Israël a également éteint la violence palestinienne à Gaza. La situation devint calme à un point tel que, pendant la guerre du Kippour de 1973, les Palestiniens sous domination israélienne sont restés totalement passifs.
Une nouvelle fois, l'ancienne Palestine mandataire redevint un seul pays, où tout le monde pouvait aller partout. Pas moins de 100.000 Palestiniens faisaient le trajet quotidien pour rejoindre leur travail en Israël et un nombre similaire parcourait des distances équivalentes pour travailler au noir. Un résultat qui mérite d'être noté est que la majorité - au moins – de la population palestinienne masculine a appris à parler l'hébreu, permettant à chacun de communiquer.
Par ailleurs, en 1976, quand Israël autorisa la tenue d'élections municipales dans les villes palestiniennes, nombre de notables pro-jordaniens furent remplacés par de notoires sympathisants de l'OLP. Toutefois, au cours des années 1970 et 1980, le pays tout entier s'avéra remarquablement paisible ; les incidents violents eux-mêmes se révélaient mineurs par rapport à ce qui pouvait arriver dans d'autres zones du Moyen-Orient et les Palestiniens bénéficiaient des retombées du boom économique. Menahem Milson, un distingué professeur israélien, spécialiste des études arabes, a récemment publié un mémoire des discussions qu'il menait avec des intellectuels palestiniens dans ces années-là. Le mémoire documente la facilité des rencontres et échanges, les amitiés authentiques qui se sont développées, mais aussi l'intransigeance totale des Palestiniens et leur incapacité à envisager une alternative au remplacement d'Israël par un Etat palestinien unifié.
Cette paix précaire prit fin en décembre 1987 sur fond d'un début d'affrontement entre soldats et Palestiniens. Au début, le ministre de la Défense Yitzhak Rabin, n'accorda pas à ces violences l'importance qu'elles méritaient ; puis, lorsqu'il chercha à ramener le calme, la répression fut trop brutale. La première Intifada qui éclate en 1987 a duré jusqu'en 1991. Comme dans les années 1930, les Palestiniens finirent par se battre entre eux. Un millier de Palestiniens environ trouvèrent la mort dans des affrontement inter-palestiniens, soit à peu autant qu'à l'issue d'affrontements avec les forces israéliennes.
Cette longue période de guerre civile prit fin - peut-être - avec la Conférence de Madrid de 1991. Conséquence majeure des accords d'Oslo, hormis à Jérusalem, Israéliens et Palestiniens n'eurent plus guère d'occasions de se rencontrer. Après la création de l'Autorité palestinienne, les virées shopping des Israéliens dans les villes palestiniennes prirent fin, car trop dangereuses. Depuis la deuxième Intifada, Israël a interdit à ses citoyens juifs de visiter les zones A et B de l'Autorité palestinienne (AP), de peur qu'ils soient tués ou enlevés. Les organes de l'Autorité palestinienne mènent actuellement de leur côté, une « campagne anti-normalisation » qui interdit toute réunion publique entre Palestiniens et Israéliens. L'AP a également arrêté tout enseignement de l'hébreu depuis des années.
Pourtant, récemment, l'hébreu a été réintroduit au programme des établissements d'enseignement de Cisjordanie et même de Gaza, sous contrôle du Hamas. Selon un article de presse :
« Somayia al-Nakhala, directeur du programme d'études du ministère de l'éducation ... souligne que les habitants de Gaza consomment des produits israéliens, se voient prescrire des médicaments israéliens et souvent regardent les programmes de la télévision israélienne diffusés par satellite ou ont accès aux sites Internet israéliens. « Nous sommes reliés à Israël » dit-elle. « Les pratiques sont très différentes de la politique ».
Elle aurait pu ajouter que quelques 200.000 Palestiniens sont soignés chaque année dans les hôpitaux israéliens et qu'Israël fournit la majeure partie de l'eau et de l'électricité de Gaza, même quand des milliers de roquettes gazaouies s'abattent sur Israël, et même quand le Hamas déclare publiquement qu'il a pour but de détruire et de remplacer Israël. En termes pratiques, la Palestine mandataire demeure encore un pays.
Finalement, la Jordanie et Israël ont signé la paix en 1994, après être tombés d'accord sur le tracé de leurs frontières respectives en dehors de la Cisjordanie. (La ligne de séparation entre la Jordanie et la Cisjordanie n'a rien d'établi, même s'il est acquis qu'elle court le long du Jourdain et les bords de la mer Morte.) A la signature du traité de paix israélo-jordanien, les lignes violette et verte ont disparu. En droit international (comme dans la pensée primaire), un traité de paix abolit les lignes de cessez-le-feu qui l'ont précédé.
Le chat du Cheshire
Le sourire des chats du Cheshire est proverbial. Dans Les aventures d'Alice au pays des merveilles (1865), Lewis Carroll a donné à cette caractéristique une dimension quasi métaphysique : Alice rencontre un chat du Cheshire qui disparaît lentement, sauf son sourire qui perdure.
Les lignes verte et violette qui étaient sur le point d'expirer en 1994, ont retrouvé leurs couleurs quand le gouvernement israélien a entamé des négociations avec l'OLP qui ont mené à la signature d'une Déclaration de principes sur des Arrangements intérimaires d'autonomie (1993) et à un Accord intérimaire sur l'autonomie (Cisjordanie et bande de Gaza ; 1995). Les deux textes sont connus respectivement sous le nom de « Oslo I » et « Oslo II ». Ces lignes verte et violette - on ne sait pas réellement laquelle comptait – ont servi de référence implicite pour échafauder les dispositions des deux accords. Clairement, le sourire de ce chat évanescent imprègne tout ce qui va découler des accords d'Oslo.
Précisons qu'Oslo I et II n'étaient pas des traités internationaux, et que l'OLP - en dépit de sa reconnaissance internationale en tant que représentant exclusif du peuple palestinien - n'a jamais été le gouvernement d'un État. Oslo I prévoyait même l'élection d'un Conseil par la population palestinienne pour la représenter dans les zones conquises par Israël au cours de la guerre des Six Jours.
L'article IV d'Oslo I définit la compétence du Conseil, après l'élection :
« Le Conseil aura juridiction sur le territoire de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, sauf en ce qui concerne les questions qui seront négociées dans le cadre des négociations sur le statut permanent. Les deux parties considèrent la Cisjordanie et la bande de Gaza comme une unité territoriale unique, dont l'intégrité sera préservée durant la période intérimaire ».
L'article V énumère les questions de statut permanent comme « Jérusalem, les réfugiés, les colonies, les arrangements en matière de sécurité, les frontières, les relations et la coopération avec d'autres voisins, et d'autres questions d'intérêt commun ». Une condition est rajoutée :
« Les deux parties sont convenues que les accords conclus pour la période intérimaire ne doivent pas préjuger le résultat des négociations sur le statut permanent ou l'anticiper ».
L'article VI définit les pouvoirs et compétences qui seront « transférés aux Palestiniens » (des personnes de confiance de l'OLP, on suppose) afin de promouvoir le développement économique « de la bande de Gaza et de la région de Jéricho » et ce, avant même l'élection du Conseil palestinien. Les compétences transférées touchent les domaines suivants : « éducation et culture, santé, protection sociale, impôts directs et tourisme ».
Ces trois articles pris ensemble permettent de tirer plusieurs conclusions concernant les colonies israéliennes.
Tout d'abord, l'OLP a accepté que les implantations existantes demeurent en l'état pendant toute la période intérimaire et jusqu'à la finalisation d'un statut permanent. Autrement dit, l'OLP a elle-même légitimé leur existence provisoire.
Deuxièmement, la partie israélienne a effectivement admis que, tout au long de la période intérimaire, aucune nouvelle colonie ne serait créée. Ceci parce que les pouvoirs immédiatement transférés à « la bande de Gaza et la région de Jéricho » (article VI) correspondaient aux pouvoirs qui seraient vraisemblablement exercés par le Conseil en « Cisjordanie et territoire de la Bande de Gaza, à l'exception » des colonies déjà existantes (articles IV + V) ; par conséquent, le Conseil serait en droit d'exercer ses pouvoirs sur toutes les colonies israéliennes qui pourraient être construites post-Oslo.
Cette conclusion est étayée par la déclaration suivante à propos de la fiscalité directe à l'article 8 de l'annexe III d'Oslo II :
« Les pouvoirs et responsabilités de la partie israélienne sur la perception et le recouvrement de l'impôt sur le revenu et la retenue à la source, pour ce qui concerne les Israéliens (y compris les entreprises ou la majorité des actions qui accordent des droits à la répartition des bénéfices est détenue par les Israéliens) à l'égard du revenu déclaré et perçu dans la zone C à l'exception des colonies et des sites militaires, seront exercés selon le code fiscal palestinien et l'impôt perçu sera remis à la partie palestinienne ».
Un tel article implique que les résidents des colonies de peuplement existantes – et non pas les résidents des colonies qui pourraient être créées par la suite – seront exemptés de toute fiscalité palestinienne.
Troisièmement, l'article IV sur la préservation de l ' « intégrité » de la Cisjordanie et de Gaza n'excepte pas les colonies. Implicitement, Israël a convenu de ne pas modifier le statut des colonies pendant la période intérimaire (autrement dit, elle a accepté de ne pas les annexer à l'Etat d'Israël). Bien sûr, Israël est autorisé à modifier autant de fois qu'il le souhaite le statut personnel des citoyens israéliens qui vivent dans les implantations, aussi longtemps que les colonies elles-mêmes conservent leur statut.
La quatrièmement conclusion est que, compte tenu de la réserve de l'article V (voir ci-dessus), les trois conclusions qui précèdent s'appliquent uniquement à la période intérimaire. Quand une négociation s'engagera sur le statut final, les Palestiniens pourront demander le retrait de toutes les colonies israéliennes, tandis que la partie israélienne sera en droit de demander le rattachement à Israël des colonies existantes, ainsi que des blocs de colonies ce qui inclut le territoire situé entre les colonies. En effet, ni Israël ni l'OLP n'ont exclu a priori de demander une partie quelconque de la Palestine mandataire.
L'article XXXI du document principal d'Oslo II introduit des restrictions similaires pour la période intérimaire, mais il ajoute que
« Rien dans le présent accord ne doit être considéré comme pouvant porter préjudice ou préjuger du résultat des négociations sur le statut permanent à déterminer conformément à la Déclaration de Principes. Aucune des deux parties ne sera présumée, en vertu de la conclusion du présent accord, avoir renoncé à l'un quelconque de ses droits existants, de ses réclamations ou positions, ou de les avoir abandonnés ».
Une cinquième conclusion s'impose alors : si l'OLP décide unilatéralement d'abolir les accords d'Oslo, comme certains de ses dirigeants ont menacé de le faire, toutes les restrictions acceptées par Israël prendront fin. Les lignes violette et verte disparaîtront définitivement, et le conflit redeviendra ce qu'il était, à savoir un conflit entre deux populations à l'intérieur d'un seul et même territoire - la Palestine mandataire. Israël pourra à nouveau créer des colonies dans toute partie de ce territoire dans la mesure où, au regard du droit international, la seule disposition pertinente de la quatrième Convention de Genève sera à nouveau l'article 3 du Titre I sur les « conflits de caractère non international ».
Il convient de noter que les colonies israéliennes ont été généralement mises en place selon les règles d'urbanisme appropriées : une zone spécifique est définie et allouée, après quoi l'infrastructure et la construction démarrent, étape par étape, au sein de la zone allouée. Ainsi la construction peut se poursuivre tout au long de la période de transition jusqu'à ce que toute la zone initialement définie soit utilisée. Ce droit - que l'OLP le veuille ou non - a été concédé à Israël à Oslo I et II ; autrement dit, l'OLP ne dispose, en droit international, d'aucune base juridique pour s'y opposer pendant la période intérimaire.
Cela vaut également pour les constructions israéliennes qui ont été introduites dans les limites étendues de Jérusalem après la guerre des Six Jours, ce « Jérusalem » que l'OLP a accepté de reporter aux négociations sur le statut final. Le dernier grand quartier israélien qui y a été construit était Homat Shmuel, familièrement connu comme « Har Homa » (à partir de 1991). L'immeuble récent qui a suscité les derniers Tut-Tuts du consensus international a été édifié dans les quartiers israéliens déjà construits comme Ramot et Gilo. Il convient d'écrire les « quartiers israéliens » et non « quartiers juifs », car des arabes israéliens y vivent aussi, comme ils en ont légalement le droit. Du point de vue du droit international, ils sont des « colons israéliens », au même titre que les juifs israéliens qui y vivent.
Toute la mise à plat qui précède peut se résumer en quelques phrases. Toutes les colonies créées par Israël avant les accords d'Oslo sont légitimes, y compris les nouveaux lotissements israéliens créés dans les limites étendues de Jérusalem. Tant que la « période intérimaire » instituée par ces accords demeure en vigueur, Israël est autorisé à construire dans les limites pré-Oslo des colonies de peuplement. En revanche, il n'a pas le droit de changer le statut pré-Oslo de ces implantations. Si des négociations s'engagent en vue d'aboutir à un accord de statut final, les Palestiniens seront en droit d'exiger un retrait israélien total sur les lignes de cessez-le-feu de 1949, mais Israël sera aussi bien en droit de réclamer la propriété des colonies existantes, mais aussi de toute autre partie de la Palestine Mandataire de 1947 (soit le territoire restant après que la Transjordanie ait été sortie du Mandat et soit devenue indépendante).
Un autre point concerne les centaines de milliers d'arabes de Jérusalem qui, après 1967, se sont vus doter d'une carte d'identité israélienne (sans la citoyenneté), mais sont en droit de voter pour l'élection du Conseil législatif palestinien (Oslo I et II). L'importance de cette population qui travaille, fait ses achats, se distraie en même temps que les Juifs atteint un nombre à six chiffres. Un sondage de 2011, réalisé conjointement par des organismes palestiniens et américains, a donné des résultats suivants :
« Environ 35% déclarent que leur préférence va à la citoyenneté israélienne contre 30% qui opteraient pour une citoyenneté au sein du futur Etat palestinien ... 40% affirment qu'ils déménageraient afin de demeurer israéliens si leur quartier était transféré sous souveraineté palestinienne. Seuls 29% disent qu'ils déménageraient si le contraire se produisait ; si leur quartier était placé sous l'autorité d'Israël, ils gagneraient une zone sous autorité palestinienne ».
En fait, environ 24.000 arabes de Jérusalem ont déjà pris la citoyenneté israélienne et près de mille demandes d'obtention de la citoyenneté israélienne sont déposées chaque année, selon les statistiques récentes.
Le consensus international qui prévaut aujourd'hui sur la nécessaire division de Jérusalem en deux capitales pour deux Etats a d'ores et déjà du plomb dans l'aile. Les résidents israéliens et palestiniens ont exprimé leur préférence pour une ville unie, les Palestiniens ayant même tendance à préférer une gouvernance israélienne plutôt que palestinienne. Par ailleurs, la structure de la ville a connu de profondes modifications au cours des 49 dernières années. Au lieu de pontifier à distance, les dévots du consensus international sur la division de Jérusalem, feraient mieux de visiter réellement la ville quelques jours durant. Ils auraient ainsi une idée du nombre de postes frontaliers qui deviendraient nécessaires pour transformer toutes les grandes artères en impasses. Ça aussi, c'est une « idiotie ».
Malcolm Lowe est un chercheur du Pays de Galles spécialiste de Philosophie grecque, du Nouveau Testament et des relations judéo-chrétiennes. Depuis 1970, il est aussi familier de la réalité israélienne.