Samir Qumsieh est sans aucun doute un leader chrétien parmi les plus courageux au Moyen-Orient. Il est l'un des rares qui, au risque de sa vie, dénonce les persécutions que les musulmans infligent aux chrétiens dans les territoires palestiniens et au Moyen-Orient, en général.
Samir Qumsieh est issu d'une vaste et très respectée famille chrétienne de Bet Sahour, près de Bethléem. Depuis quarante ans, il lutte pour faire respecter les droits de la minuscule minorité chrétienne palestinienne. Il a même osé protester contre l'asservissement des chrétiens vivant sous la coupe du Hamas dans la bande de Gaza.
La détresse des chrétiens qui vivent dans les territoires sous contrôle de l'Autorité palestinienne et du Hamas est un sujet vraiment tabou. Mais Qumsieh persévère - et en paie le prix. Il est régulièrement menacé de mort, et a échappé de peu à une bombe incendiaire. Les extrémistes musulmans l'ont également dénoncé dans une campagne de tracts dans la région de Bethléem pour ses opinions et le soutien qu'il apporter aux chrétiens persécutés.
Mais ces intimidations multiples n'ont pas découragé Qumsieh.
Cette personnalité chrétienne de premier plan qui a fondé la chaîne de télévision de la Nativité à Bet Sahour, accuse, dans un entretien exclusif au Gatestone Institute, l'administration Obama de ne pas combattre l'Etat islamique ni l'islam radical. Qumsieh se dit convaincu que le futur président Trump va « éliminer » l'Etat islamique.
Qumsieh révèle aussi qu'une « mafia musulmane » a entrepris de spolier les chrétiens des terres qu'ils possèdent dans la région de Bethléem.
En tant que personnalité chrétienne de la société palestinienne, quelle analyse faites-vous de l'action de l'administration Obama dans la guerre contre l'Etat islamique ?
Le président Obama est le père spirituel de l'Etat islamique. Ni lui, ni son administration n'ont jamais rien entrepris de sérieux contre l'Etat islamique. Voilà ce que je crois, et de nombreux faits étayent ma conviction. Quand Obama a vu que la vérité risquait d'éclater, il s'est décidé à agir, mais pas de manière significative. Il a ainsi mis à prix la tête d'Abu Bakr Al-Baghdadi (chef de l'Etat islamique) et a commencé à nous dire qu'il avait bombardé l'Etat islamique, et ainsi de suite.
Comment expliquez-vous le refus d'Obama d'utiliser le terme Islam radical ?
Puisque vous me posez la question, je vais vous dire la vérité : je doute qu'Obama soit un chrétien. Je ne peux pas croire une chose pareille. Pendant son mandat, l'Etat islamique a émergé, et les chrétiens ont beaucoup souffert. Laissez-moi vous poser la question. Qu'est-ce que l'Etat islamique ? Comment expliquer qu'une mobilisation mondiale n'a pas été en mesure de les éradiquer ? Qui peut me convaincre ? Quand l'Amérique a renversé Saddam Hussein, qui avait une armée nombreuse et puissante, il s'est effondré. Mais l'Etat islamique, comment expliquer qu'ils existent encore ?
Croyez-vous que le futur président Donald Trump aura une position différente envers l'Etat islamique ?
Absolument. Trump va effacer l'Etat islamique. Si Hillary Clinton avait gagné, croyez-moi l'Etat islamique aurait continué et prospéré. À mon avis, le président turc Recep Tayyip Erdogan est le « père » de l'Etat islamique, et Clinton sa « mère ».
L'un de mes amis est peintre. Il est musulman. Il fait des portraits de présidents. Nous avons envoyé des portraits au roi Abdallah, à Mahmoud Abbas et au pape. Il a peint un portrait d'Obama devant l'église de la Nativité. Il a travaillé sur cette toile pendant deux mois ce qui représente un investissement important. Lorsque le portrait a été présenté à Obama par le consul général américain à Jérusalem, ils n'ont même pas envoyé une lettre de remerciement au peintre. J'avais dit moi-même au consul : « Messieurs, c'est indigne, envoyez au moins une lettre de remerciements ». Le consul général est venu à mon bureau et a pris le portrait. Le peintre ne méritait-il pas au moins un mot de remerciement ?
Voulez-vous dire qu'Obama n'a rien fait pour aider les chrétiens du Moyen-Orient ?
Rien du tout. Je le dis et le répète : il n'a rien entamé de sérieux contre l'Etat islamique qui a meurtri profondément les chrétiens.
Quelle est la meilleure façon de lutter contre l'extrémisme religieux ?
La solution à l'extrémisme, je l'ai toujours dit, ne passe pas par l'armée ou plus de sécurité. La lutte contre l'extrémisme commence au jardin d'enfants, puis à l'école élémentaire, mais aussi à l'église et à la mosquée. Les programmes d'enseignement - juif, chrétien et musulmans – jouent également un rôle très important. Ils doivent accorder une importance particulière à l'acceptation de l'« autre ». Si cette idée passe, la génération future sera libérale et ouverte d'esprit.
Mais les troubles et la violence au Moyen-Orient ne sont-ils pas le résultat de l'extrémisme religieux ?
La région toute entière est traversée par une guerre religieuse et sectaire. La Turquie, l'Arabie Saoudite et le Qatar sont sunnites. Ils sont contre l'Iran, le Hezbollah au Liban et le régime alaouite de Bachar al Assad en Syrie. On assiste donc à une guerre religieuse et sectaire. Il ne s'agit pas seulement d'un conflit entre sunnites et chiites.
Que ressentez-vous en tant que chrétien face aux exactions dont sont victimes les chrétiens du Moyen-Orient, et notamment le récent attentat contre une église copte en Egypte ?
Tout ceci est extrêmement triste, et l'attentat contre cette église m'a particulièrement affecté. Je crois que les autorités égyptiennes devraient agir de manière décisive. Chaque jour, nous entendons et voyons des cheiks radicaux s'en prendre aux chrétiens. Récemment, un de ces cheiks affirmait que les coptes chrétiens devaient être abattus comme des moutons. Que fait la sécurité égyptienne ? Si je dirigeais la police égyptienne, ce cheikh aurai immédiatement été arrêté et envoyé pourrir dans un cachot.
Savez-vous si des responsables religieux palestiniens lancent également des attaques verbales contre les chrétiens ?
Oui. Vendredi dernier, l'un de ces cheiks a tenu des propos menaçants dans une mosquée. Il a dit que les jeunes musulmans ne devaient pas imiter les jeunes chrétiens, et ne devraient pas leur souhaiter un joyeux Noël. Il a également dit que les musulmans ne devaient pas entrer en relations d'affaires avec les chrétiens. Les propos de ce cheikh ont été très intimidants pour les chrétiens.
Les chrétiens ont-ils protesté contre les propos du cheikh ?
Mon cousin, un officier à la retraite des services de renseignement de l'Autorité palestinienne, a protesté sur Facebook. Le lendemain, il a dû supprimer son post sans doute en raison de menaces qui pourraient avoir été proférées. J'ai dit à mon cousin que j'allais parler avec le procureur général de l'Autorité palestinienne, mais il m'a demandé de ne rien faire. Mon cousin m'a dit : « s'il te plaît n'en parle pas, il y a 40 familles chrétiennes dans le coin (où habite le cheikh) ». Il me parait clair qu'il a reçu des menaces, même s'il ne veut pas l'admettre.
Comment décririez-vous les relations entre chrétiens et musulmans dans la région de Bethléem ?
Objectivement parlant, il existe des millions de musulmans qui sont de bonnes personnes. J'ai beaucoup d'amis musulmans que je considère comme mes frères. Le problème ne vient pas des musulmans. Il vient de l'islam radical. Dans le Coran, plusieurs discours coexistent, et chaque musulman, en fonction de ses croyances et de sa vision du monde, sélectionne le discours qui lui convient. Certains versets appellent à la paix et parlent des chrétiens comme des « gens du Livre » et de bonnes personnes. Mais d'autres versets nous décrivent comme des infidèles et des pêcheurs. Chacun opte pour la version qui lui convient. A mon humble avis, ces versets ne sont pas datés. Je pense que s'ils l'étaient, les plus récents s'imposeraient par rapport aux plus anciens.
Je crois comprendre que vous avez-vous-même été la cible de menaces et d'attaques violentes. Pouvez-vous en dire quelque chose ?
Oui, j'ai été victime de harcèlement, et en 2006, on m'a même attaqué à coups de cocktails Molotov. En outre, j'ai été personnellement pris à partie par une campagne de tracts.
De quoi vous-accuse-t-on ? Pourquoi certains musulmans paraissent-ils être en colère contre vous ?
J'ai protesté chaque fois que l'on a empiété sur les terres qui appartiennent à des chrétiens.
Est-il vrai que des musulmans se sont illégalement emparé de propriétés chrétiennes à Bethléem ?
Nous avons une mafia ici qui saisit les terres appartenant à des chrétiens. J'ai protesté contre cette mafia musulmane, et j'ai même appelé un grand rassemblement. J'ai invité 80 personnes dans ma maison. Ainsi réunis - musulmans et chrétiens -, ils représentaient l'élite de la société. Tous se sont joints à ma protestation. La même nuit, des tracts étaient distribués à Bethléem qui menaçaient de me tuer.
Qu'a fait l'Autorité palestinienne pour vous venir en aide contre cette mafia ?
De nombreux cas d'empiètement de terres sont encore entre les mains des tribunaux et en attente d'un jugement. Notre système judiciaire est très lent. Un jugement peut prendre 15 à 20 ans. Nous sommes intervenus auprès de l'Autorité palestinienne et avons clairement fait savoir que le problème nous tenait à cœur. Récemment, nous avons remarqué que les empiétements ont fortement diminué. Aujourd'hui, seuls quelques cas continuent de poser problème. Mais nous voulons que tous soient réglés.
Les chrétiens qui vivent dans les territoires sous contrôle de l'Autorité palestinienne sont-ils discriminés ?
On ne peut pas dire qu'il existe une discrimination officielle. Le Président Abbas assiste à la messe de minuit de Noël, son premier ministre participe à l'éclairage de l'arbre de Noël. Mais, au sein de notre peuple, il en est qui adhèrent à des idées extrémistes. L'Etat islamique est dans certaines têtes. Des chrétiens travaillent pour l'Autorité palestinienne, mais pas énormément. Nous avons des maires chrétiens, là où il est normal qu'il y en ait. Les maires de Bethléem, Bet Sahour et Bet Jala sont chrétiens, même si certains exigent que cela change dans la mesure où les chrétiens sont aujourd'hui en minorité. Heureusement pour nous, l'Autorité palestinienne n'a pas donné suite à ces demandes.
Les responsables de la chrétienté défendre-ils les intérêts de leur peuple autant qu'ils le pourraient ?
Franchement, je ne souhaite pas voir arriver le jour où les églises du Saint-Sépulcre et de la Nativité seront transformées en musées. C'est pourquoi je saisis cette occasion dans l'espoir que cela encouragera nos dirigeants à trouver une solution. Les investisseurs chrétiens intéressés par le maintien d'une population chrétienne devraient investir ici. Nous voulons qu'ils montent des projets, y compris des projets immobiliers. Ces projets créeront des emplois pour les jeunes chrétiens. Car le plus gros problème auquel nous sommes confrontés est l'émigration des chrétiens. Certains chrétiens nous viennent en aide, mais leurs efforts sont insuffisants. Je ne saurais affirmer toutefois que les patriarches de la chrétienté font de leur mieux. Certains vivent loin de la congrégation et ne se soucient pas de nous. Nous voulons que des investisseurs chrétiens financent des projets. Il ne suffit pas de dire « j'aime les chrétiens et je me soucie d'eux. » Cet amour doit se prouver par des actes.
Etes-vous inquiet du nombre croissant de chrétiens qui quittent la Cisjordanie et la bande de Gaza ?
Autrefois, 5000 chrétiens vivaient dans la bande de Gaza. Lorsque le Hamas a pris le pouvoir à Gaza en 2006, les chrétiens ont commencé à souffrir de harcèlement et de discriminations. Aujourd'hui, il n'en reste plus que 1.100. Dans la région de Bethléem, on trouve encore 40.000 chrétiens, soit l'immense majorité des 42.000 chrétiens qui vivent en Cisjordanie. Deux raisons expliquent cette dépopulation. La première est une émigration continue qui est notre cauchemar ; la seconde tient au faible taux de natalité des familles chrétiennes. Pour comprendre la gravité de la situation, il faut rappeler que dans les années 1950, environ 86% de la population de la région de Bethléem était chrétienne. Aujourd'hui, nous ne sommes que 12%. En Israël, en revanche, nous avons 133.000 chrétiens et le chiffre est stable. Bien sûr, je suis inquiet de l'avenir des chrétiens ici. Les faits sur le terrain montrent qu'ils n'ont aucun avenir. Notre communauté fond lentement ; nous sommes en train de disparaître. Le jour viendra où nos églises deviendront des musées. C'est mon cauchemar.
Khaled Abu Toameh, journaliste plusieurs fois récompensé, est basé à Jérusalem.