Le système de santé italien est dans un état d'effondrement presque total. À ce jour, 59.138 personnes en Italie ont été infectées par le coronavirus; 5.476 personnes sont décédées. Et les chiffres continuent à croître. Les hôpitaux sont débordés. Les médecins doivent choisir quel malade sauver et quel malade ne pas sauver. Sur la photo: le personnel soignant s'occupe d'un patient dans une structure d'urgence temporaire installée à l'extérieur de l'hôpital de Brescia, en Italie, le 13 mars 2020. (Photo de Miguel Medina / AFP via Getty Images) |
Le système de santé italien est dans un état d'effondrement presque total. À ce jour, 59.138 personnes en Italie ont été infectées par le coronavirus; 5.476 personnes sont décédées. Et les chiffres continuent à croître. Les hôpitaux sont débordés. Les médecins doivent choisir quel malade sauver et quel malade renoncer à sauver.
Le pays est presque complètement à l'arrêt. De nombreuses entreprises fonctionnent au ralenti ou pas du tout. Les détenus organisent des soulèvements dans les prisons. Des millions de personnes ont reçu l'ordre de rester chez elles et ne sont autorisées à sortir que brièvement, pour acheter de la nourriture. La plupart des magasins sont fermés. Tous les rassemblements publics sont interdits, même pour les funérailles. Les grandes villes ressemblent à des villes fantômes.
Aucun autre pays occidental n'a été aussi gravement touché par la pandémie que l'Italie. Pourquoi?
D'abord, l'Italie a une population vieillissante. L'âge médian des Italiens est de 47,3 ans; un Italien sur quatre a plus de 65 ans. En supplément, le taux de natalité dans le pays est extrêmement bas: 1,29 enfant par femme. Avant la pandémie, l'Italie était un pays agonisant. Le virus a accéléré le processus.
Ensuite, le personnel medical italien semble avoir sous-estimé le danger. Si le gouvernement italien a suspendu les vols depuis la Chine et Hong Kong dès le 31 janvier, les médecins italiens ont persisté à dire que la maladie n'était qu'une "mauvaise grippe". Le 9 mars, une épidémiologiste, Silvia Stringhini, a écrit: "Les médias sont rassurants, les politiciens sont rassurants, alors qu'il n'y a pas de raison d'être rassuré".
En outre, le système de santé italien est en très mauvais état. Il n'y a pas suffisamment d'unités de soins intensifs dans le pays et, comme ailleurs sur le continent, la possibilité d'une crise majeure n'était pas anticipée. Il y a en Italie 2,62 lits de soins intensifs pour 1.000 habitants (par comparaison, le nombre en Allemagne est de 6,06 lits de soins intensifs pour 1.000 habitants). Le système de santé italien est entièrement régi par le gouvernement. Un service public (le SSN, Servizio Sanitario Nazionale) paie directement les médecins, limite leur nombre, et fixe le nombre maximum de patients qu'ils peuvent traiter chaque année (1500).
Les systèmes de santé gérés par un gouvernement finissent toujours par celui-ci à réduire ses coûts plutôt qu'à aider ses citoyens. Les cliniques privées existent en Italie, mais ne représentent qu'une petite partie de l'offre de soins (Le système public italien représente 77% des dépenses totales de santé. Le seul pays en Europe où le chiffre est plus élevé est le Royaume-Uni, où le pourcentage est 79 %). Les hôpitaux publics doivent gérer la pénurie, et lorsqu'une situation exceptionnelle survient, le rationnement des soins conduit à des choix horribles. Un rapport récent de la Siaarti (Società Italiana di Anestesia Analgesia Rianimazione e Terapia Intensiva) propose des "recommandations éthiques pour l'hospitalisation et le traitement intensif dans des conditions de déséquilibre exceptionnel", et parle de "critères consensuels de justice distributive" permettant de justifier de ne pas soigner certains patients et de les laisser mourir.
Enfin, dimension rarement mentionnée, l'Italie inclut aujourd'hui une importante communauté chinoise (plus de 300.000 personnes), composée de gens arrivés au cours des deux dernières décennies et travaillant dans le secteur du textile et du cuir. Beaucoup de Chinois vivant en Italie viennent de Wuhan et de Wenzhou, et certains s'étaient rendus Wuhan et Wenzhou pour le Nouvel an chinois le 25 janvier, en un moment où les autorités chinoises n'ont plus pu continuer à cacher l'épidémie. Ces Chinois sont rentrés de Chine en Italie juste avant que le gouvernement italien ne suspende les vols venant de Chine. L'épidémie est apparue en Lombardie, et Bergame, l'une des capitales de l'industrie textile italienne, a été l'une des premières villes touchées.
Avant la pandémie, l'économie italienne était déjà dans un état de stagnation; maintenant que les Italiens doivent rester chez eux et que les entreprises ne tournent plus, le pays va probablement plonger dans la récession. Depuis la mi-février, les banques italiennes ont perdu 40% de leur valeur. Des bouleversements financiers majeurs semblent imminents.
Le gouvernement italien espérait l'aide de l'Union européenne, mais ni les autres États membres ni l'Union européenne elle-même n'ont accordé quoi que ce soit. Maurizio Massari, ambassadeur d'Italie auprès de l'Union européenne, a déclaré lors d'un récent sommet européen sur la pandémie que Bruxelles devait aller au-delà des "engagements et des consultations" et que l'Italie avait besoin "d'actions rapides, concrètes et efficaces". Il n'a rien obtenu.
Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, a refusé de baisser les taux d'intérêt pour aider l'Italie; les dirigeants italiens ont ressenti sa décision comme une marque de mépris. Le président italien Sergio Mattarella a dit que l'Italie attendait " des gestes de solidarité des institutions européennes" et non "des décisions venant entraver les actions de l'Italie". Matteo Salvini, chef de la Ligue, a dit:"L'Italie a reçu une gifle".
L'attitude méprisante de l'UE et des autres États membres semble avoir été dictée par leur peur de glisser dans une situation aussi calamiteuse que celle de l'Italie.
Tous les pays européens ont une population vieillissante, même si c'est à un degré moindre que l'Italie (l'âge médian en Allemagne est 46,8 ans; en France 41,2 ans; en Espagne 42,3 ans). Aucun pays de l'Union européenne n'a posé un regard lucide et sérieux sur le danger auquel l'Europe est confrontée.
"Le coronavirus est très contagieux", a déclaré le 26 janvier la Ministre française de la Santé, Agnès Buzyn, "mais beaucoup moins grave que nous ne le pensions".
Les frontières entre la France et l'Italie n'ont pas été fermées (seules l'Autriche et la Slovénie ont fermé leurs frontières avec l'Italie), et les Italiens qui souhaitaient se rendre en France ont pu le faire jusque voici peu. Les systèmes de santé des autres pays européens ne sont pas plus performants que celui de l'Italie. En Espagne, l'Insalud (Instituto Nacional de Gestion Sanitaria), est organisé sur le même mode que le système italien, et les pénuries et les soins rationnés sont la règle dans le pays. Les régimes d'assurance maladie allemands (Krankenkassen) et français (Sécurité Sociale) fonctionnent eux-mêmes sur des principes semblables, et produisent des résultats similaires. Les économies des principaux pays de l'Union européenne étaient, comme celle de l'Italie, dans un état de stagnation avant la pandémie et vont sans doute, comme l'économie italienne, plonger prochainement dans la récession.
Au moment de la rédaction de ces lignes, 28.603 personnes étaient infectées en Espagne, 14.485 en France et 23.974 en Allemagne. En Espagne, 1.756 personnes étaient décédées; 562 personnes en France, 92 seulement en Allemagne. Comme en Italie, les chiffres augmentent rapidement.
Le 11 mars, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré aux journalistes qui l'accusaient de ne rien faire, "60 à 70% des Allemands seront infectés par le coronavirus". Lothar Wieler, président de l'Institut Robert Koch, l'agence gouvernementale allemande chargée de la prévention et du contrôle des maladies, a ajouté qu'il fallait "éviter de surcharger les hôpitaux" et laisser l'épidémie gagner du terrain lentement.
Un conseiller du président français Emmanuel Macron a dit à un journaliste du Figaro que la stratégie de la France était la même que celle de l'Allemagne: la décision a été prise de "laisser l'épidémie suivre son cours et ne pas essayer brutalement de l'arrêter". Il suggérait que la volonté officielle était de créer une "immunité de groupe", une expression utilisée un peu plus tôt au Royaume-Uni par Sir Patrick Vallance, conseiller scientifique du gouvernement britannique. Patrick Vallance avait déclaré que le gouvernement britannique entendait qu'un nombre important de citoyens du pays soient infectés, se rétablissent et soient immunisés. Les autorités françaises et allemandes se sont apparemment inspirées de ces propos.
Confronté aux critiques de l'Organisation mondiale de la santé, le gouvernement britannique a répondu que "l'immunité de groupe" n'était pas sa politique déclarée, mais aucune déclaration des gouvernements allemand ou français n'est allée dans le même sens.
Umair Haque, directeur du Havas Media Lab au Royaume-Uni, a écrit:
"L'immunité de groupe consiste à considérer qu'une population est protégée contre une maladie après que la vaccination ait empêché le microbe responsable de la maladie de se transmettre entre les gens. Laisser toute une population être contaminée par un virus mortel pour lequel il n'y a pas de vaccin? A combien de morts cela conduirait-il? Quelle situation de chaos résulterait?"
"L'Europe est maintenant devenue l'épicentre de la pandémie, et compte plus de cas et de décès signalés que le reste du monde réuni, à l'exception de la Chine", a noté Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé. "Aujourd'hui, davantage de cas sont signalés chaque jour en Europe qu'en Chine au plus fort de l'épidémie qu'elle a connu." Malheureusement, toutes les données disponibles montrent qu'il a raison.
Le 11 mars, le président Donald Trump a annoncé que les États-Unis suspendaient tous les vols entre les États-Unis et l'Europe, une décision pleinement justifiée et qui a sauvé des vies américaines. Le lendemain, les dirigeants de l'Union européenne n'ont pas pu résister à a leur désir de s'en prendre au Président des Etats-Unis: "L'UE désapprouve le fait que la décision américaine d'imposer une interdiction de voyager ait été prise unilatéralement et sans consultation", ont-ils déclaré dans un communiqué.
Il faut espérer que la notion d'"immunité collective" est ou sera abandonée en Europe, et que les pays de l'UE chercheront à sauver l'Europe, s'ils le peuvent.