Le gouvernement chinois boycotte les marques de vêtements occidentales qui seraient tentées d'exprimer une quelconque inquiétude concernant le travail forcé dans la région du Xinjiang en Chine. Le conflit tourne autour d'accusations selon lesquelles plus de 500 000 Ouïghours et autres minorités ethniques et religieuses musulmanes du Xinjiang récolteraient le coton dans des conditions du travail forcé. Le Xinjiang fournit 85% du coton chinois et un cinquième de l'offre mondiale. Environ 70% des champs de coton de la région font l'objet d'une récolte manuelle. Photo : des femmes récoltent le coton à la main à Hami, dans le Xinjiang, le 20 septembre 2015 (Photo de STR / AFP via Getty Images) |
Le gouvernement chinois mène un boycott actif contre les marques de vêtements occidentales qui seraient tentées d'exprimer une quelconque inquiétude concernant l'organisation de travaux forcés dans le Xinjiang, la plus grande région de Chine. Des pressions sont exercées sur ces entreprises pour qu'elles suppriment toute référence aux droits de l'homme de leurs sites Internet, pour qu'elles renouvellent leurs contrats d'achat de coton produit au Xinjiang et pour qu'elles suppriment les cartes de géographie qui font de Taiwan un pays indépendant.
Le conflit est parti en vrille peu après que l'Union européenne et le Royaume-Uni se soient associés, le 22 mars dernier, aux sanctions prises par les États-Unis et le Canada contre les responsables chinois pour leurs violations des droits de l'homme dans le Xinjiang, une région autonome éloignée du nord-ouest de la Chine.
Les experts des droits de l'homme affirment qu'un million de musulmans au moins sont détenus dans 380 camps d'internement environ, où ils subissent des tortures, des viols en masse, du travail forcé et des stérilisations.
Les entreprises occidentales qui font des affaires en Chine expérimentent un dilemme de plus en plus inconfortable : peuvent-elles défendre les valeurs occidentales et garder les mains propres face aux violations des droits de l'homme sans subir les représailles du gouvernement chinois à commencer par l'éviction de l'un des marchés les plus grands et les plus dynamiques du monde ?
Le conflit est le suivant : le gouvernement chinois est accusé d'obliger un demi-million de Ouïghours et autres minorités ethniques et religieuses musulmanes à récolter le coton du Xinjiang, une région qui produit 85% du coton chinois et un cinquième de l'offre mondiale, dans des conditions qui s'apparentent aux travaux forcés. Dans 70% des champs de coton, la récolte s'effectue à la main. Les accusations de travail forcé ont un impact sur toutes les chaînes d'approvisionnement occidentales qui utilisent le coton du Xinjiang comme matière première. L'Union européenne et les États-Unis importent plus de 30% de leurs vêtements et textiles de Chine.
En octobre 2020, la Better Cotton Initiative (BCI), une puissante association genevoise à but non lucratif qui lutte pour la production de coton durable, a suspendu le label qu'elle attribuait au coton du Xinjiang. Le communiqué qui faisait référence aux accusations et « aux risques croissants » de travail forcé en Chine, a depuis été effacée du site Web de la BC. Chose particulièrement inquiétante, ce communiqué a également disparu des archives Internet.
Après que la BCI, qui couvre l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement mondiale en coton, ait cessé de labelliser la production de coton du Xinjiang, les 1800 entreprises-membres – notamment l'Allemand Adidas, l'Anglais Burberry, les Suédois H&M et IKEA, ainsi que l'Américain Nike - ont toutes affirmé qu'elles allaient cesser d'utiliser le coton du Xinjiang, conformément aux directives du groupe.
À l'époque, H&M, deuxième plus grand distributeur de mode au monde, a communiqué sur son site Web :
« Le groupe H&M est très préoccupé par les rapports des associations et des médias qui mettent en cause le travail forcé et les discriminations imposées aux minorités ethno-religieuses de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang (RAOX). Toute notre chaîne d'approvisionnement doit demeurer indemne d'une quelconque relation avec les travaux forcés, quel que soit le pays ou la région ....
« Nous ne travaillons avec aucune usine de fabrication de vêtements située au RAOX, et nous ne nous approvisionnons pas en produits de cette région. L'ensemble des fabricants, tisseurs et producteurs de fil qui fournissent notre marque fera l'objet d'une liste qui sera bientôt rendue publique et mentionnera leur localisation. Ces règles de transparence seront élargies autant qu'il est possible, à l'ensemble de notre chaîne d'approvisionnement mondiale.
« En outre, nous avons enquêté dans toutes les usines de fabrication de vêtements avec lesquelles nous travaillons en Chine afin de nous assurer que les travailleurs sont employés conformément aux règles que nous nous sommes fixés en matière de développement durable et qu'ils se conforment à notre directive relative aux travailleurs migrants. »
Ce communiqué passé largement inaperçu à l'époque, a refait surface après l'annonce des sanctions de l'UE. La Ligue de la jeunesse communiste, le mouvement de jeunesse du Parti communiste chinois, a déclaré sur Weibo, le Twitter chinois que : « Répandre des rumeurs pour boycotter le coton du Xinjiang, tout en prétendant gagner de l'argent en Chine ? Un vœu pieux ! »
Le refus d'H&M d'être connecté au coton du Xinjiang a suscité une fureur qui a atteint son paroxysme sur les réseaux sociaux chinois, beaucoup appelant au boycott de l'entreprise à l'échelle nationale. Les applications chinoises de cartographie et de covoiturage ont bloqué H&M. Les principales plates-formes chinoises de commerce en ligne ont déréférencé la marque. Certains propriétaires en colère ont mis fin aux contrats de location de magasins et ont forcé H&M à fermer certains de ses 500 magasins en Chine, le quatrième marché de l'entreprise derrière l'Allemagne, les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Des marques comme Adidas, Burberry, Calvin Klein, Lacoste, New Balance, Nike, Puma, Tommy Hilfiger, Uniqlo et Zara ont expérimenté la colère des nationalistes chinoise aussitôt après que les médias d'État aient dénoncé leurs réticences envers la situation au Xinjiang. Plus de 30 célébrités chinoises ont annoncé qu'elles mettaient fin aux accords de sponsoring qu'elles avaient avec des marques occidentales. Certains ont ajouté qu'ils étaient hostiles à toute tentative de « discréditer la Chine. »
L'agence Associated Press a publié une dépêche affirmant que la Chine « effaçait » les marques occidentales d'Internet :
« Dans une version high-tech de l'aérographe que la Chine et d'autres régimes autoritaires ont utilisé dans le passé pour gommer les ennemis politiques sur les photos historiques, les 500 magasins H&M de Chine n'apparaissent plus sur l'application de co-voiturage Didi Chuxing ni sur les services de cartographie exploités par Alibaba et Baidu. L'application H&M pour smartphone a également disparu des boutiques d'applications.
« Nul ne sait si les plateformes numériques chinoises ont reçu l'ordre d'effacer H&M, mais les entreprises chinoises se conforment à la politique officielle sans qu'un ordre tombe. Les services de l'Etat ont tous les outils pour punir les entreprises qui ne soutiennent pas la politique officielle ...
« Le Parti communiste fait souvent pression sur les grands groupes étrangers de distribution, de prêt à porter, de transports... et tente de leur faire payer la politique menée par leurs gouvernements. Le pouvoir chinois tente également de contraindre ces multinationales à adopter ses positions sur Taiwan, le Tibet et d'autres sujet sensibles.
« La plupart cèdent aux pressions parce que la Chine est l'un des marchés les plus importants et les plus dynamiques pour la mode mondiale, l'électronique et d'autres marques grand public. »
Xu Guixiang, un porte-parole du gouvernement du Xinjiang, a déclaré :
« Une entreprise ne devrait pas se mêler de politique. H&M peut-il continuer à gagner de l'argent sur le marché chinois ? Plus maintenant. Sanctionner de manière irréfléchie n'avait rien de raisonnable. C'est comme lever une pierre et la laisser retomber sur ses propres pieds. »
Le 31 mars, H&M a communiqué qu'il était « déterminé à regagner la confiance de (ses) clients, collègues et partenaires commerciaux en Chine ». La déclaration, qui omettait toute référence au Xinjiang, est apparue comme une tentative ratée d'apaiser le gouvernement chinois tout en se conciliant la bonne grâce des défenseurs des droits de l'homme occidentaux.
« Pourquoi H&M ne présente-t-il pas directement ses excuses aux consommateurs » a demandé la China Central Television (CCT), un radiodiffuseur contrôlé par l'État ? CCT a qualifié le communiqué de H&M d '« article de relations publiques de second ordre, creux et dépourvu de sincérité ».
Le porte-parole du ministère du Commerce, Gao Feng, a déclaré que le travail forcé au Xinjiang était « une fiction entièrement inventée » et que de telles accusations relevaient de la calomnie :
« Nous lutterons contre toute ingérence au Xinjiang ou dans les affaires intérieures de la Chine. Nous lutterons également contre toutes les sanctions prises contre des personnes privées et morales chinoises sur la base de mensonges et de fausses informations, et sous prétexte que de soi-disant problèmes de droits de l'homme se posent au Xinjiang. »
Les autorités chinoises ont ensuite fait pression sur H&M et d'autres grandes marques occidentales pour qu'elles modifient les « cartes géographiques problématiques de la Chine » présentes sur leurs sites Web. La branche de Shanghai de l'Administration chinoise du cyberespace a critiqué les sites Internet taiwanais des grandes marques occidentales qui présentent l'île comme un territoire indépendant.
Après que H&M ait, sur pression chinoise, modifié sa carte de Taiwan, Pékin a ordonné à H&M de « remédier immédiatement » à sa représentation de la mer de Chine méridionale, une zone que Pékin affirme être à 90% sous son contrôle. Là encore, H&M a obtempéré, provoquant la colère du Vietnam, qui a des revendications territoriales sur cette partie du domaine maritime.
Parallèlement, afin de contrer les accusations de violations des droits de l'homme dans le Xinjiang, le gouvernement chinois a produit une comédie musicale – sur le modèle américain de la « Mélodie du Bonheur » - qui dépeint le Xinjiang comme une zone rurale idyllique, cohérente au plan ethnique, sans répression, ni surveillance de masse. Même l'islam, religion de la majorité de la population ouïghoure, a disparu.
Selon l'Agence France-Presse, « Les Ailes de la chanson » est une comédie musicale qui tente de recadrer la réalité culturelle de la région :
« La comédie musicale a gommé les caméras de surveillance et les contrôles de sécurité qui quadrillent le Xinjiang. Les références à l'islam, aux mosquées et aux femmes voilées sont remarquablement absentes - alors que plus de la moitié de la population du Xinjiang est musulmane -. »
Marques occidentales et chaînes d'approvisionnement du Xinjiang
En mars 2020, l'Australian Strategic Policy Institute, a publié un rapport intitulé "Uyghurs for Sale" (Ouighours à vendre). Cette étude révélait que les Ouïghours travaillaient - dans les conditions du travail forcé - dans des filatures qui approvisionnaient plus de 80 marques mondiales des secteurs de l'habillement, de l'automobile et de la high tech. Parmi les entreprises citées par le rapport, on trouve :
Abercrombie & Fitch, Acer, Adidas, Alstom, Amazon, Apple, ASUS, BMW, Bombardier, Bosch, Calvin Klein, Candy, Carter's, Cerruti 1881, Cisco, Dell, Electrolux, Fila, Founder Gap, General Motors, Google, H&M, Hitachi, HP, Jaguar, LL Bean, Lacoste, Land Rover, Lenovo, LG, Mercedes-Benz, MG, Microsoft, Mitsubishi, Nike, Nintendo, Nokia, Panasonic, Polo Ralph Lauren, Puma, Samsung, Sharp, Siemens, Skechers, Sony, Tommy Hilfiger, Toshiba, Uniqlo, Victoria's Secret, Volkswagen et Zara.
En juillet 2020, le Financial Times a révélé que des marques occidentales comme Brooks Brothers, Hugo Boss, Lacoste et Ralph Lauren se fournissaient auprès d'une société chinoise dont la filiale du Xinjiang était sous le coup de sanctions de la part du gouvernement américain pour travail forcé présumé.
En mai 2019, le Wall Street Journal a rapporté que des multinationales très en vue - Adidas, C&A, Calvin Klein, Campbell's Soup Company, Coca-Cola, Disney, Esprit, Gap, H&M et Kraft Heinz and Patagonia – se fournissaient directement ou indirectement dans des usines qui ont recours au travail forcé au Xinjiang.
Certaines entreprises ont démenti les accusations portées contre elles, d'autres ont promis d'enquêter et certaines se sont engagées à cesser de s'approvisionner au Xinjiang. On trouvera ci-dessous un échantillon des déclarations de grandes marques de mode et de distribution qui ont suscité la colère des Chinois :
Adidas a indiqué : « En 2019, peu après que des accusations aient été formulées contre plusieurs entreprises qui s'approvisionnent dans des filatures du Xinjiang, en Chine, où des minorités ethniques seraient soumises aux travaux forcés, nous avons explicitement demandé à nos fournisseurs de tissus de ne pas s'approvisionner en fil dans la région du Xinjiang. Adidas n'a jamais rien produit au Xinjiang et n'a aucune relation contractuelle avec un quelconque fournisseur du Xinjiang. »
Burberry. La marque britannique, membre de Better Cotton Initiative, a été la première marque de luxe à subir les représailles chinoises au sujet du Xinjiang. Burberry a perdu la star chinoise qu'elle sponsorisait et son logo a été effacé d'un jeu vidéo populaire.
Gap a communiqué : « Nous pouvons confirmer que nous ne nous approvisionnons pas au Xinjiang ... Une nouvelle politique du groupe a été mise en place qui interdit explicitement aux fournisseurs de s'approvisionner directement ou indirectement en produits, composants ou matériaux en provenance du Xinjiang, chaque fois qu'ils recevront une commande de Gap Inc.
Marks & Spencer. Le distributeur britannique a été l'une des premières grandes marques à soutenir une campagne contre le travail forcé au Xinjiang. En janvier 2020, l'entreprise a signé un manifeste de la « Coalition pour mettre fin au travail forcé dans la région ouïghoure » - qui se compose de plus de 300 associations issues de la société civile - pour couper les liens avec les fournisseurs en Chine qui profitent du travail forcé au Xinjiang.
Nike a déclaré : « Nous sommes préoccupés par les informations relatives aux travaux forcés imposés à la Région autonome ouïghoure du Xinjiang (RAOX) et d'autres parties du territoire liées à elles. Nike ne se fournit pas au RAOX et nous avons clairement indiqué à nos fournisseurs sous contrat qu'ils ne devaient pas utiliser de textiles ou de fils issus de cette région. »
New Balance a reconnu : « que le risque de découvrir du travail forcé augmente au fur et à mesure que l'on remonte la chaîne d'approvisionnement, là où notre visibilité diminue ainsi que nos moyens d'action. Nous élargissons la cartographie de la chaîne d'approvisionnement du fil de coton et explorons les technologies et autres méthodes pour mieux garantir l'origine des matières premières. »
Zara. Inditex, société mère de Zara (Espagne), a retiré de son site Web une déclaration sur la tolérance zéro du groupe en matière de travail forcé. La déclaration demeure néanmoins visible sur les archives Internet :
« Nous considérons avec beaucoup de sérieux les informations faisant état de conditions de travail et de pratiques sociales inappropriées dans n'importe quelle partie de la chaîne d'approvisionnement du vêtement et du textile. Nous jugeons préoccupantes les accusations de mauvaises conditions de travail et de pratiques sociales inappropriées imposées aux Ouïghours du Xinjiang (Chine) et d'autres régions dans divers segments de la chaîne d'approvisionnement textile. Après enquête interne, nous pouvons confirmer qu'Inditex n'entretient de relations commerciales avec aucune usine du Xinjiang. »
Johnson Yeung, militant des droits humains à Hong Kong, a tweeté :
« Fortes pressions des médias d'Etat et des consommateurs chinois. @InditexSpain @ZARA a discrètement supprimé son communiqué sur #Xinjiang Cotton de son site Web. Je crains que les entreprises participent à des atrocités contre les Ouïghours pour prouver leur loyauté. Tenir la ligne. »
Une sélection de commentaires
Dans un texte écrit pour l'American Institute for Economic Research, le chercheur chinois Richard Ebeling, a expliqué pourquoi le gouvernement chinois persécute les Ouïghours :
« Les Ouïghours, comme les Tibétains, et d'autres minorités en Chine, sont victimes de l'impérialisme politique et ethnique chinois. Le gouvernement chinois a entrepris d'assurer l'unité politique et l'intégration, notamment au Tibet et au Xinjiang, par une politique de « stérilisation » culturelle et ethnique. Pendant des décennies, les autorités de Pékin ont incité les populations chinoises Han à migrer vers ces deux régions pour « diluer » les peuples ouïghours et tibétains sur leurs propres terres et les réduire à un statut de minorité.
« Le gouvernement chinois a tenté de persécuter et d'éradiquer la pratique de l'islam et du bouddhisme, au sein de ces peuples. L'armée chinoise a profané des temples religieux et des lieux de culte, assassiné et emprisonné des chefs religieux, obligé des femmes ouighours et tibétaines à à épouser des Chinois Han pour « nettoyer » génétiquement le Xinjiang et le Tibet de leurs populations autochtones. Pékin a également restreint ou interdit l'apprentissage et l'utilisation des langues locales distinctes et la pratique des coutumes culturelles.
« Bien sûr, rien n'est jamais dit officiellement ou publiquement, mais pour assurer la solidarité et l'unité politiques de toutes les zones du territoire, le gouvernement a entrepris d'uniformiser la population au plan racial, et de faire de la Chine un pays ou les Hans seront le facteur homogénéisateur de l'ensemble de la population.
Dans l'un de ses éditoriaux, The Economist a écrit que les marques et les distributeurs occidentaux sont pris en étau entre deux types de consommateurs, les nationalistes en Chine et les adeptes de la prise de conscience sociétale sur leur territoire national :
« Depuis plus d'un an, certaines grandes marques étrangères de vêtements et de technologie marchent sur la corde raide en raison des violations des droits de l'homme commises par le gouvernement chinois contre les Ouïghours, une minorité ethnique majoritairement musulmane de la région du nord-ouest du Xinjiang. Ces entreprises ont mené un travail en profondeur pour que leurs chaînes d'approvisionnement ne soient pas polluées par les travaux forcés imposés aux Ouïghours, qui par centaines de milliers récoltent le coton dans des conditions apparemment coercitives. De crainte de provoquer la colère du Parti communiste et des 1,4 milliard de consommateurs chinois, ces grandes entreprises se sont bien gardées de faire étalage de leurs mesures de précaution.
« La fureur en ligne des Chinois, attisée par le pouvoir, indique peut être que Pékin est désormais las du double jeu des grandes entreprises occidentales. Le gouvernement chinois semble déterminé à punir les critiques de la politique qu'il mène au Xinjiang et veut placer les entreprises étrangères face à un choix que de leur côté, elles font tout pour éviter : soutenir la Chine ou sortir du marché chinois.
« Les autorités chinoises ont, dans le passé, attisé le nationalisme de la population contre les entreprises étrangères puis les ont réprimées après avoir fait valoir leur point de vue. Cette fois, la riposte contre les détracteurs d'une politique qui envoie plus d'un million de Ouïghours au goulag en raison de leurs croyances religieuses et culturelles, semble plus large et moins épisodique....
« Le Parti communiste considère qu'il est de plus en plus en son pouvoir d'exercer une pression économique sur les autres, en utilisant le 'puissant champ gravitationnel' de la deuxième plus grande économie du monde ...
« Les marques occidentales qui ont conservé leur ancrage au Xinjiang peuvent craindre d'être perçues comme étant à la botte du Parti communiste chinois. Ce qui aurait un effet désastreux sur les consommateurs occidentaux qui attendent que leurs entreprises aient un comportement responsable sur tous les grands sujets, des conditions de travail au changement climatique ... Mais ces entreprises font peut-être aussi le calcul que la ferveur nationaliste en Chine va se calmer. Et elles tentent un pari ...
« L'exacerbation de la colère officielle chinoise face aux critiques de sa politique au Xinjiang et la pression croissante que les militants des droits de l'homme et les consommateurs exercent sur les entreprises pourraient modifier la donne. Les militants des droits de l'homme appellent déjà les entreprises à boycotter les Jeux olympiques d'hiver de l'année prochaine à Pékin... Celles-ci savent que répondre à la pression chinoise en renonçant à leurs propres engagements en matière de droits de l'homme est indéfendable sur leur marché intérieur. En même temps, les entreprises ont raison de s'inquiéter des conséquences économiques. Entre le lucratif marché chinois et les valeurs que ces mêmes entreprises professent dans le reste du monde, le choix devient incontournable ... »
Le radiodiffuseur public suisse SWF a écrit que le dilemme profite au gouvernement chinois :
« L'indignation publique et le boycott profitent au gouvernement chinois de plusieurs manières : au plan intérieur, le boycott détourne l'attention et les violations des droits de l'homme disparaissent derrière l'agression de l'Occident envers la Chine.
« L'affaire H&M sert également à effrayer d'autres pays. Le message aux entreprises internationales est le suivant : on ne plaisante pas avec la Chine. »
Le Frankfurter Allgemeine Zeitung a souligné le dilemme moral des pays occidentaux :
« Les entreprises occidentales vivent un conflit : en Occident, une majorité de clients refuse de porter un t-shirt fabriqué par des forçats. En Chine, qui est tout à la fois un lieu de production et un marché important, les entreprises craignent des représailles si elles critiquent ouvertement le travail forcé. Il leur est impossible de satisfaire les deux parties.
« Prenez le cas Hugo Boss. La marque de la ville souabe de Metzingen, connue pour ses costumes pour hommes, est le parfait exemple d'une entreprise qui a cherché à s'extirper d'un dilemme moral et économique - et qui, finalement a perdu sur les deux tableaux.
« La plate-forme Internet chinoise Weibo - une sorte de Twitter national - a appelé au boycott d'Hugo Boss. Deux acteurs de premier plan ont mis fin à leur contrat de sponsoring avec la société allemande, et sur les réseaux sociaux, les Chinois se sont moqués de l'attitude du fabricant de costumes.
« Que s'est-il passé ?
« Il y a quelques jours, Hugo Boss a déclaré sur Weibo qu'il respectait la souveraineté de la Chine, que le coton du Xinjiang était l'un des meilleurs au monde - et que l'entreprise continuerait à se fournir en coton chinois. Cette déclaration aurait pu passer inaperçue en Occident, à ce détail près que le média de langue anglaise Hong Kong Free Press l'a reprise.
« Or, en septembre, Hugo Boss avait déclaré à un radiodiffuseur américain que tous ses fournisseurs avaient eu à prouver que leurs produits ne venaient pas du Xinjiang. Tout à coup, chacun a eu le sentiment qu'Hugo Boss tenait un double discours, un pour la Chine, l'autre pour l'Occident.
« Après que le journal de Hong Kong ait fait état de ces déclarations contradictoires, Boss a supprimé son communiqué sur Weibo. La société se réfère maintenant à un communiqué en anglais sur son compte Weibo : « Hugo Boss ne tolère pas le travail forcé ». ....
« Interrogé par Die Zeit, une porte-parole d'Hugo Boss a déclaré que le premier message Weibo était « non autorisé ». Elle a ajouté : « Notre position actuelle ne diffère en rien de la position exprimée initialement. »
« Mais il n'y a pas besoin de chercher longtemps sur Internet, pour s'apercevoir que la déclaration supprimée est encore présente, - et qu'elle est beaucoup plus dure que le message actuel ... Hugo Boss fait la promesse qu' « à partir d'octobre 2021, nos nouvelles collections ne contiendront plus de coton ou d'autres matières de la région du Xinjiang. »
Le journal allemand Die Welt écrit que tant que l'Allemagne dépend de la Chine, la critique morale n'a guère d'utilité :
« Un exemple du désaccord [transatlantique] sur la bonne approche par rapport à la Chine est l'Accord d'investissement UE-Chine, que l'UE, sous la direction d'Angela Merkel, a fait passer ... en ignorant toutes les demandes de l'administration Biden.
« L'accord améliore de manière superficielle la situation des investisseurs européens en Chine, mais surtout, il représente un prestigieux accomplissement pour Xi Jinping : il marque la division de l'Occident, incapable d'adopter un position commune sur la Chine.
« Même les plus ardents défenseurs de l'Accord n'oseront jamais prétendre que ce texte va contribuer au respect des droits de l'homme en Chine. Les Européens sont en train de comprendre que la Chine n'envisage même pas d'engager un dialogue avec l'Occident sur le sujet. Au contraire même, à la moindre critique, Pékin sort de ses gonds...
« Les 5 200 entreprises allemandes actives en Chine ont informé sans ambiguïté la chancellerie allemande de l'extrême sensibilité de leurs partenaires commerciaux chinois. Daimler a rapidement effacé un post concernant le Tibet sur les réseaux sociaux parce que Pékin avait simplement tiqué. Volkswagen qui possède une usine au Xinjiang se garde bien d'ouvrir la bouche sur la situation faite aux Ouïghours. Les entreprises allemandes fournissent la moitié des exportations de l'UE vers la Chine. L'industrie exportatrice allemande n'a aucun intérêt à ternir ce bilan en affichant un quelconque zèle moral.
« La dépendance économique envers la Chine rend le moindre argument moral totalement inaudible. Tant que l'Europe, et particulièrement l'Allemagne, ne réduira pas sa dépendance économique à la Chine, les plaintes relatives aux violations des droits de l'homme en Chine, déclencheront au mieux de vagues réactions défensives à Pékin. »
Soeren Kern est Senior Fellow du Gatestone Institute de New York.