Une commune française peut-elle ériger une statue de la Vierge Marie dans un parc public ? La réponse du tribunal administratif est, comme il se doit, négative. Les magistrats ont donné au maire de Publier, dans l'est de la France (6500 habitants), trois mois pour se conformer à la loi de 1905 qui interdit l'exhibition de signes religieux dans les lieux publics. Si, au cours de cette période, la municipalité ne supprime pas la statue, elle sera condamné à une amende €100 par jour. Le maire Gaston Lacroix a dit qu'il va essayer de déplacer la statue de marbre sur un terrain privé.
La loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat (article 2) stipule que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »; l'article 28 « interdit d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».
La statue de la Vierge Marie de Publier, - sur le socle de laquelle il est inscrit « Notre - Dame du Lac Léman veille sur tes enfants » - a une longue histoire. Elle a été installée dans le parc de la ville en août 2011, sans débat au conseil municipal. La statue a été acquise avec l'argent des contribuables : € 23.700 (26.000 USD $). Reconnaissant à l'époque qu'il avait « un peu flirté avec la loi de 1905 » sur la séparation de l'Église et l'État, le maire a dû vendre la statue à une association religieuse locale pour rembourser la commune.
Pour éviter d'avoir à déloger la statue du parc public, le maire a essayé de privatiser le bout de terre où la statue est érigée. Mais le tribunal le lui a interdit.
Cette affaire de statue de la Vierge Marie illustre les difficultés de la laïcité, de la défense de l'identité française, de la lutte contre l'islamisme, autant que les intérêts contradictoires et toujours clientélistes des différents partis politiques en France.
À l'origine, la laïcité en France a été instituée pour bouter la religion catholique hors de la sphère publique et de l'école. Une guerre authentique a été menée à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème contre une église catholique très obscurantiste et omniprésente dans l'espace public et politique. L'historien Jacques Julliard rappelle que :
Mgr de Quélen, archevêque de Paris, est resté célèbre pour avoir dit « non seulement Jésus était le fils de Dieu, mais sa mère venait d'une très bonne famille ».
Pour la gauche républicaine de l'époque, la lutte contre l'église était un combat pour la libération des esprits, pour la construction d'une école de la connaissance (contre la croyance), d'une école libérée des prêtres, pour la construction d'une société ouverte. Mais, aujourd'hui, après plus d'un siècle de séparation apaisée des pouvoirs entre l'Église et l'État, un islam intolérant et invasif perturbe les règles du jeu, envahit la rue, les écoles, les universités et les entreprises avec le voile, la nourriture halal et un mélange de délinquance et de terrorisme. Mais au lieu de s'unir contre ce fauteur de trouble et le ramener à la raison, la société française s'est ouvertement divisée.
La classe politique (gauche et droite) est entièrement responsable de cette division, qui est aussi le résultat d'une confusion. Au lieu de nommer l'islamisme l'ennemi, tous les gouvernements, à gauche et à droite, ont choisi la voie sans issue de l'apaisement et la multiplication déplorable des concessions - refus d'attribuer à l'islamisme la responsabilité du terrorisme, refus de considérer le voile islamique comme un outil de séparation communautariste, facilitation des dérogations à la loi de 1905 permettant la multiplication des mosquées salafistes... - Le tout dans le vain espoir de calmer ce qui se présentait comme une colère légitime des musulmans contre la «discrimination».
Le tête à queue le plus spectaculaire est venu de la gauche. Héritière d'une longue tradition laïque, la gauche, face à l'islam, a jeté par-dessus les moulins ses principes de séparation du politique et du religieux. Pire, elle s'est fait compassionnelle, préoccupée de ne pas bousculer les adeptes d'une religion musulmane rétrograde, anti laïque, sexiste et ce à des fins électoralistes et clientélistes. « Si la gauche républicaine s'était préoccupée de ne pas stigmatiser les catholiques, elle n'aurait jamais fait la loi de séparation de 1905, qui a assuré à la France un siècle de paix religieuse », affirme Jacques Julliard.
Quant à la droite, elle a organisé une immigration de masse et n'a pas été plus capable que la gauche de repenser son rapport à la laïcité. Chaque fois qu'elle a tenté de s'opposer à l'islamisme rampant du voile et du halal, elle a flirté avec des thématiques racistes proches de l'extrême droite.
Incapables d'élaborer une stratégie pour une laïcité renouvelée, la gauche et la droite ont laissé les acteurs sur le terrain (en particulier les maires des 35.000 communes de France) isolés et sans perspectives. A l'approche des fêtes de Noël 2014 et 2015, pour réaffirmer sans doute leur identité tricolore ou catholique, certains de ces élus locaux (on ne sait pas combien) ont choisi d'installer ou de subventionner des crèches de la Nativité dans les couloirs de leurs mairies provoquant ainsi le réveil de vieilles passions politiques tricolores.
Libres penseurs, partis de gauche et l'extrême gauche, partis écologistes et partisans du multiculturalisme sont allés devant les tribunaux pour éradiquer ces berceaux de l'enfant Christ. A droite et à l'extrême droite, on a fait appel aux « traditions » et à la « race blanche » pour les défendre. Au milieu, quelques rares partisans de la laïcité ont tenté de renvoyer dos à dos catholiques traditionnalistes et islamistes, mais sans grand succès.
Le 14 Novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a décidé en appel d'invalider l'interdiction initiale d'une scène de la nativité de Noël dans la salle du conseil général de Vendée.
Mais, le 8 octobre 2015 et le 1er décembre 2016, les tribunaux administratifs de Paris et Lille ont annulé les décisions du maire de Melun et de la municipalité d'Hénin-Beaumont de mettre en place une crèche de la nativité dans les locaux municipaux.
En novembre 2015, juste avant les attaques terroristes islamistes à Paris, où 130 personnes ont été assassinées, la puissante Association des maires de France (AMF) a relancé la controverse en recommandant, au nom de la laïcité, de ne pas installer des crèches de Noël dans le hall de bâtiments publics. Immédiatement, trois maires du Front national, et quelques autres du parti d'opposition, Les républicains, ont quitté l'AMF. Marion Maréchal-Le Pen du Front national, et la petite - fille du fondateur du parti, a déclaré :
« Cette recommandation est une provocation. Aujourd'hui, la laïcité qui est la neutralité des pouvoirs publics à l'égard des religions, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, le refus du financement des cultes n'est pas pour autant la disparition d'un certain nombre de nos traditions populaires qui peuvent avoir une connotation religieuse. En particulier catholique ».
Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout La France, a jugé la decision de l'AMF « idiote ». Il a ajouté :
« Je pense qu'il faut laisser de la liberté. Les Français sont attachés à leur culture. Il y a des mairies qui en mettent, des mairies qui n'en mettent pas. Si les Français ont le droit culturellement d'aimer les sapins de Noël, d'appeler les vacances de Pâques, vacances de Pâques et d'avoir des crèches, laissons les faire. Arrêtons de couper les racines des Français, arrêtons de nier à notre peuple le droit d'être lui-même ».
A gauche, la plupart des dirigeants ont refusé de commenter de crainte sans doute d'engager une polémique sur des thèmes proches du Front national et de se retrouver coincés à défendre les droits des musulmans tout en attaquant les revendications des catholiques.
Le 9 Novembre, 2016, le Conseil d'État (Conseil d'Etat), la plus haute juridiction administrative en France, a rendu publiques des lignes directrices pour les juridictions administratives locales. Pour éviter la multiplication des jugements contradictoires sur les crèches de Noel dans les lieux du pouvoir républicain, le Conseil d'Etat a posé ses conditions : pas de prosélytisme et une crèche de Noël ne sera tolérée que si elle est « folklorisée », c'est-à-dire débarrassée de toute référence au christianisme.
Si les crèches sont une très ancienne tradition chrétienne, l'installation de scènes de la Nativité dans les locaux municipaux est très récente . La plus ancienne a dû être inaugurée en 1989. Dans la plupart des cas, cet affichage chrétien des scènes de la nativité a été une réaction pour réaffirmer tout à la fois une culture française, et des racines chrétiennes - la plupart du temps, et sans le dire - contre l'islam.
Pour les élus de droite, la laïcité apparait aujourd'hui comme une contrainte face à la défense des valeurs traditionnelles. François Fillon, ancien Premier ministre et candidat Les Républicains à la présidentielle de 2017, a salué la décision du Conseil d'Etat. Dans Valeurs Actuelles , il a déclaré :
« Noël a depuis longtemps quitté le seul univers cultuel, celui de la religion, pour rentrer dans l'univers culturel, celui de la civilisation. Preuve en est que si le nombre de détenteurs ou d'amateurs de crèches correspondait au nombre de fidèles se rendant à la messe dominicale, les églises de France seraient pleines à craquer ! Ne faisons pas du principe de laïcité un principe d'absurdité. Par ailleurs, en vidant l'espace public de tout ce qui nous rassemble, en aspirant tout ce qui fait l'épaisseur et la profondeur de l'être collectif français, le laïcisme est, paradoxalement, l'idiot utile du communautarisme : cet espace qu'il vide, les islamistes s'empressent de le combler en remplissant les têtes de jeunes désabusés, décérébrés et déracinés. »
Cet argument, de « la laïcité comme un vide », a également été développé par Philippe de Villiers, une figure éminente de la droite et fondateur du Mouvement pour la France (MPF). Dans les semaines précédant la décision du Conseil d'Etat, Villiers a donné une interview au Figaro intitulée «Oui aux crèches, non aux djellabas »
Il a déclaré :
« J'attends du Conseil d'État une décision qui fasse le choix, non pas d'une laïcité du vide, qui serait un appel d'air à l'islamisme mais d'une laïcité vivante, qui s'accorde à nos traditions... Le Conseil d'Etat a dit "oui au burkini", s'il dit non aux crèches, il ne sera plus le Conseil d'Etat de la France, mais le Conseil de l'Etat islamique ».
Le débat est en réalité piégé.
Parce que ni la gauche, ni la droite n'ont été en mesure de repenser et d'imposer une laïcité rénovée qui fasse rentrer l'islam dans le rang, la droite se rabat aujourd'hui sur les symboles les plus apparents du christianisme.
La situation faite à la laïcité est en réalité dramatique. Cet outil qui visait à chasser de la sphère publique tous les sujets qui fâchent irrémédiablement les citoyens d'une même société – à commencer par la religion – est aujourd'hui abandonné par tous ceux qui devraient la défendre.
Arcboutée sur des positions antiracistes, la gauche se fait aujourd'hui le chantre de l'islamisme le plus rétrograde tandis que la droite se réfugie mollement sur des positions traditionnalistes chrétiennes. Pire, la gauche et la droite s'unissent désormais pour dénoncer la laïcité comme une nouvelle religion, sectaire qui plus est. Passons sur les propos du socialiste Peillon qui a accusé la laïcité d'avoir été une arme au service des nazis – « Si certains veulent utiliser la laïcité, ça a déjà été fait dans le passé, contre certaines catégories de populations, c'était il y a quarante ans les juifs à qui on mettait des étoiles jaunes, c'est aujourd'hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans, qu'on amalgame d'ailleurs souvent avec les islamistes radicaux, c'est intolérable. » - Mais en cataloguant la laïcité comme une « religion du vide », la droite n'enrichit guère le débat non plus.
Droite et gauche font ainsi le lit des islamistes et Tariq Ramadan se frotte littéralement les mains.
« La laïcité est en train de devenir une religion d'opposition à toutes les autres religions », a déclaré Tariq Ramadan, figure éminente des Frères musulmans en Suisse et en France en 2014 sur BFMTV. « La France a une culture, il y a Noel qui vient, c'est stupide » a-t-il ajouté. Il a félicité les maires pour leurs crèches de Noël sans doute parce qu'il y voit une ouverture pour la manifestation de l'islam dans toutes les sphères du domaine public. « Nous avons besoin d'une République autorisant la visibilité de la diversité, et non pas une République de neutralité », a déclaré Ramadan.
La messe est dite !
Yves Mamou journaliste et auteur est basé en France. Il a travaillé pendant plus de vingt ans pour le journal Le Monde avant de prendre sa retraite.