Un tribunal de Gelsenkirchen a jugé « grossièrement illégale » l'expulsion d'un islamiste passé aux aveux – et soupçonné d'avoir été un garde du corps de l'ancien chef d'Al-Qaïda Oussama ben Laden. La cour a ordonné son retour en Allemagne.
L'affaire a mis en lumière le dysfonctionnement structurel du système d'expulsion allemand et vérifié les fondements droits-de-l'hommiste de la décision judiciaire en Allemagne. Une justice basée sur les droits de l'homme rend l'expulsion des migrants illégaux pratiquement impossible, y compris ceux qui menacent la sécurité collective.
Originaire de Tunisie, le demandeur d'asile débouté de 42 ans vit en Allemagne depuis 1997. Il est identifié par les autorités allemandes sous le nom de Sami A., mais il est enregistré dans l'état-civil de son pays natal sous le nom de Sami Aidoudi. Selon les autorités allemandes, cet Aidoudi, un salafiste, a séjourné en Afghanistan et au Pakistan avant les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. A son arrivée en Allemagne, il a été placé sous surveillance par les services de sécurité allemands pour propagande islamiste et tentative de radicalisation de jeunes musulmans. Il a noué des relations « étendues » avec les réseaux salafistes et djihadistes, indique un rapport officiel qui a fuité dans la revue allemande Focus .
La demande d'asile d'Aidoudi a été rejetée en 2007 après que des allégations aient surgi sur sa participation à un stage de formation militaire dans une base d'Al-Qaïda en Afghanistan entre 1999 et 2000. Durant sa formation, il aurait également exercé comme garde du corps d'Oussama ben Laden. Aidoudi a nié ces accusations et a affirmé avoir étudié pendant cette période à Karachi, au Pakistan.
Sami Aidoudi (à gauche) vivait en Allemagne depuis 1997. Il a été expulsé vers son pays natal, la Tunisie, le 13 juillet 2018. Il est accusé d'avoir suivi une formation militaire dans un camp djihadiste d'Al-Qaïda en Afghanistan entre 1999 et 2000. Il aurait également servi comme gardes du corps d'Oussama ben Laden (à droite) pendant son entraînement. (Sources de l'image : Aidoudi - Capture d'écran vidéo de SpiegelTV, Bin Laden - Wikimedia Commons) |
Malgré le rejet de la demande d'asile d'Aidoudi, les tribunaux allemands ont à plusieurs reprises bloqué son expulsion de crainte qu'il soit torturé ou maltraité dans son pays d'origine.
Ainsi, en avril 2017, un tribunal de Münster a jugé qu'Aidoudi encourait un risque « considérable » de « tortures et traitements inhumains ou dégradants » s'il retournait en Tunisie.
En avril 2018, l'opinion publique allemande s'est indignée qu'Aidoudi soit autorisé à demeurer en Allemagne. La presse venait de révéler qu'il vivait depuis plus de dix ans aux frais des contribuables, à Bochum, avec sa femme allemande et leurs quatre enfants et que les services de renseignement allemands avaient fiché Aidoudi comme une menace pour la sécurité.
En réponse à une demande du parti anti-immigration Alternative pour l'Allemagne (AfD), le gouvernement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a confirmé que, depuis des années, Aidoudi touchait 1.168 € par mois de l'aide sociale et de l'aide sociale à l'enfance.
En mai 2018, Le Conseil constitutionnel d'Allemagne a autorisé l'expulsion d'un autre djihadiste tunisien - identifié sous le nom d'Heikel S., 37 ans, impliqué dans l'attaque djihadiste de mars 2015 au musée du Bardo à Tunis.
Horst Seehofer, ministre de l'Intérieur, s'est appuyé sur cette décision du Conseil constitutionnel pour inciter les services d'immigration à inscrire l'affaire Aidoudi en tête de leurs priorités. « J'exige qu'il soit expulsé » a-t-il déclaré.
Le 25 juin, suivant les consignes de Seehofer, Aidoudi a été arrêté par les services d'immigration et les procédures d'expulsion ont été accélérées.
Quelques semaines plus tard, le 13 juillet, avant l'aube, Aidoudi, escorté de quatre policiers fédéraux et d'un médecin, a été placé dans un Learjet spécialement affrété et transporté de Düsseldorf en Tunisie. L'expulsion d'Aïdoudi a couté près de 80 000 € au contribuable allemand a indiqué le magazine Focus.
Bien que le tribunal administratif de Gelsenkirchen ait ordonné la veille de surseoir à l'expulsion d'Aidoudi, cette décision judiciaire n'a été transmise aux services d'immigration qu'après le décollage de l'avion.
Apprenant l'expulsion, le tribunal a exigé qu'Aidoudi soit rapatrié en Allemagne. Les magistrats ont considéré que l'expulsion avait porté atteinte aux « principes fondamentaux de la primauté du droit ». Les juges semblent avoir considéré qu'ils ont été dupés. Ils ont reproché aux services d'immigration de ne pas avoir été informé de la date de la procédure d'expulsion et ont même laissé entendre que les fonctionnaires de l'immigration avaient « sciemment » défié le jugement du tribunal.
Le lendemain, le 14 juillet, les autorités tunisiennes ont jeté de l' huile sur le feu en annonçant qu'elles n'avaient pas l'intention de renvoyer Aidoudi en Allemagne. « Nous avons une justice indépendante qui enquête sur lui », a déclaré Sofiene Sliti, porte-parole du procureur général à l'agence de presse allemande DPA.
Le 17 juillet, Aidoudi a clamé que son expulsion était un acte de « pur racisme » et affirmé qu'il porterait plainte contre le gouvernement allemand. A Bild, il a déclaré :
« J'ai été littéralement kidnappé. A trois heures du matin, ils ont débarqué et m'ont emmené. J'ai dit à la police : « Ce n'est pas possible, un tribunal a bloqué mon expulsion. » Mais ils ont répondu que l'ordre venait de très haut et que je n'y pouvais rien. Ils m'ont même empêché de voir mon avocat. Ils ont aussi refusé que je contacte ma femme et mes enfants. »
Seehofer a imputé l'expulsion à un « problème de communication » mais ses adversaires l'ont accusé d'avoir sciemment outrepassé les décisions du tribunal.
La ministre de la Justice, Katarina Barley, social-démocrate, a déclaré :
« Ce que les tribunaux indépendants décident, doit être appliqué. Quand les autorités font le tri entre les décisions de justice qui leur conviennent et celles qui ne leur conviennent pas, c'est la fin de l'Etat de droit. »
Le dirigeant des Verts Robert Habeck a déclaré à Süddeutsche Zeitung :
« Soit, nous avons affaire à une pagaille embarrassante, soit les services du ministère de l'Intérieur ont agi de manière scandaleuse pour faire [de Sami A] un exemple.
« Nous exigeons qu'une enquête détermine si le ministre de l'Intérieur Horst Seehofer a tenté de contourner la décision du tribunal.
« Dans tous les cas, les torts causés sont beaucoup plus importants que le sursis ordonné par le tribunal. Les autorités sont faibles et stupides, dans ces périodes où la confiance dans les institutions s'amenuise. »
Les détracteurs du système d'expulsion ont développé une autre argumentation : ils ont appelé à des réformes législatives. Axel Fischer du groupe parlementaire CDU / CSU a déclaré que dans le système actuel, « les droits reconnus aux islamistes pèsent plus que les droits du peuple allemand à la sécurité ». Il a ajouté que la législation actuelle « donne le sentiment qu'il est pratiquement impossible d'expulser les islamistes, quel que soit le niveau de risque qu'ils représentent, dans des pays comme la Tunisie ».
Dans un éditorial publié avant l'expulsion d'Idoudi, le journal Bild a commenté les failles du système d'expulsion en Allemagne :
« La folle expulsion de l'ex-garde du corps de ben Laden, Sami A. n'en finit pas. Les autorités allemandes ne trouvent pas moyen d'expédier ce chef salafiste dans son pays natal, et ce bien que le ministre tunisien des droits de l' homme, Mehdi Ben Gharbia, ait affirmé à Bild qu'il n'existait AUCUN risque de torture en Tunisie.
« Depuis 2006, le Bureau fédéral des migrants et des réfugiés (BAMF) et le gouvernement de Rhénanie du Nord-Westphalie tentent en vain de se débarrasser de l'homme de confiance du meurtrier de masse Oussama Ben Laden.
« Bien que ce milicien d'Al-Qaïda (installé à Bochum depuis 1997) soit fiché comme un « prédicateur dangereux », il continue d'être toléré en Allemagne et touche 1 100 euros d'allocations mensuelles.
« Selon Alexander Dobrindt, membre du Bundestag, « les salafistes comme Sami A. n'ont rien à faire en Allemagne et devraient être expulsés. L'Allemagne ne doit plus être considérée comme une maison de repos pour djihadistes à la retraite ».
Soeren Kern est Senior Fellow à l' Institut Gatestone de New York .