Le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini, mène campagne dans le but de bâtir une alliance populiste paneuropéenne à même de remettre en cause l'establishment pro-européen et de redéfinir l'avenir de l'Union européenne. Son objectif est de reprendre le pouvoir aux bureaucrates non élus de Bruxelles et de rebasculer les pouvoirs clés de l'UE dans les capitales nationales.
L'Allemagne et la France, gardiennes autoproclamées de la construction européenne, ont répondu à ce défi par un ambitieux contre-projet visant à faire de l'Union européenne une « puissance décisive sur la scène mondiale ».
L'Union européenne est aujourd'hui le lieu d'un affrontement entre eurosceptiques nationalistes et europhiles mondialistes ; un conflit qui risque de s'intensifier dans les semaines et les mois à venir, au fur et à mesure que la date des élections pour le Parlement européen, fin mai 2019, se rapprochera.
En visite officielle à Varsovie le 9 janvier, Salvini, l'homme politique le plus puissant d'Italie, a déclaré que les populistes italiens et polonais devaient promouvoir un « printemps européen » et « rééquilibrer » l'influence de l'Allemagne et de la France au Parlement européen :
« L'Europe qui sera créée en juin sera différente de celle des bureaucrates d'aujourd'hui. En Europe, on a toujours parlé d'un axe franco-allemand. Nous préparons un nouvel équilibre et une nouvelle énergie en Europe. Un plan d'action commun est en préparation qui insufflera à l'Europe un sang neuf, une force et une énergie nouvelle. La Pologne et l'Italie seront les principaux acteurs de ce nouveau printemps européen, de la renaissance des valeurs européennes authentiques, avec moins de bureaucratie et plus de travail plus de famille et surtout plus de sécurité. »
Le nouveau bloc politique que Salvini tente de créer – il a été baptisé "l'Alliance des souverainistes" (alleanza di sovranisti) – rallie les nationalistes et les populistes de toute l'Europe. Son objectif est de réaffirmer la souveraineté nationale en modifiant la composition politique du Parlement européen et, par extension, la composition de l'exécutif de l'UE, la Commission européenne et, éventuellement, du Conseil européen, où les dirigeants nationaux prennent les décisions les plus importantes de l'UE.
Les élus de l'actuel Parlement supranational européen sont répartis en familles idéologiques comme dans les assemblées législatives nationales. Huit familles politiques composent aujourd'hui le Parlement européen. La plus importante est le Parti populaire européen (centre-droit, dont le pilier est l'Union chrétienne démocrate de la chancelière allemande Merkel) ; l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates vient en second ; les Conservateurs et réformistes européens se situent en troisième position suivie de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE). La récente décision d'En Marche, le parti politique du président français Emmanuel Macron, de rejoindre l'ADLE pourrait, après les élections de mai, propulser l'ADLE du quatrième rang au second au sein du Parlement européen.
En Pologne, Salvini a rencontré le Premier ministre Mateusz Morawiecki, le ministre de l'Intérieur Joachim Brudziński et Jarosław Kaczyński, le puissant dirigeant du parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS). Droit et Justice est actuellement rattaché au groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) au sein du Parlement européen. En raison du Brexit et du départ programmé des 18 députés européens conservateurs britanniques, l'ECR encourt aujourd'hui un risque d'effondrement. Faute d'alliés, le PiS polonais se retrouverait isolé faut de groupe au Parlement européen. Il est peu probable que le PiS rejoigne le Parti populaire européen car le principal parti d'opposition de la Pologne, la Plateforme civique, en fait déjà partie. Le nouveau groupe dirigé par Salvini pourrait représenter une option attrayante pour le PiS.
Salvini a déjà convaincu les partis populistes français et néerlandais - le Rassemblement national de Marine Le Pen (anciennement connu sous le nom de Front national) et le Parti de la liberté de Geert Wilders - de le rejoindre. Si le PiS et le Parti de la liberté au pouvoir en Autriche rejoignaient l'alliance eurosceptique de Salvini, celle-ci pourrait compter jusqu'à 150 députés. Ce qui en ferait le troisième groupe au Parlement européen et lui donnerait une influence législative tangible au sein de l'UE.
Le parti Fidesz (Alliance civique hongroise) du parti du Premier ministre hongrois Viktor Orbán continue de faire partie du Parti populaire européen lequel n'a pas cédé aux appels à l'expulsion d'Orbán en raison de ses opinions eurosceptiques et anti-immigration. Le porte-parole d'Orbán, Zoltan Kovacs, a salué le projet de Salvini de créer une alliance populiste :
« L'axe Varsovie-Rome est un développement qui laisse augurer de grands espoirs. Je voudrais que l'Europe ait une force politique à la droite du PPE, un axe Rome-Varsovie, capable de gouverner, capable de prendre des responsabilités et de s'opposer à l'immigration. »
Orbán n'entend pas pour l'instant quitter le Parti populaire européen qui est le groupe le plus puissant du Parlement européen. Certains observateurs avancent que demeurer au PPE protège Orban contre ses opposants pro-européens.
Salvini et Orbán se sont engagés à créer un « axe anti-immigration » au sein de la très immigrationniste Union européenne. Réunis à Milan le 28 août, Orbán et Salvini ont promis de collaborer avec l'Autriche et le groupe de Visegrad - République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie - pour s'opposer au groupe pro-immigrationniste des pays de l'UE dirigé par le président français Macron.
Lors d'une conférence de presse conjointe, Salvini a déclaré :
« L'aventure pour une Europe différente démarre aujourd'hui et va se poursuivre au cours des prochains mois pour changer la Commission européenne, pour changer les politiques européennes, remettre au centre le droit à la vie, le droit au travail, à la santé, à la sécurité, tout ce qu'ont nié les élites européennes, financées par [le milliardaire hongrois philanthrope George] Soros et représentées par Macron,....
« Le continent européen est proche d'un tournant historique. Je m'étonne de la stupeur d'une gauche politique qui n'existe plus que pour défier les autres et pense que Milan ne devrait pas accueillir le président d'un pays européen, comme si la gauche avait le pouvoir de décider qui a le droit de parler et qui n'a pas le droit - et ensuite ils se demandent pourquoi plus personne ne vote pour eux.
« Il s'agit de la première d'une longue série de réunions visant à changer les destins, non seulement de l'Italie et de la Hongrie, mais de l'ensemble du continent européen."
Orbán a ajouté :
« Des élections européennes auront bientôt lieu et nombre de choses vont changer. Pour le moment, il existe deux camps en Europe : l'un est dirigé par Macron, qui soutient les migrations de masse. L'autre est dirigé par des pays qui souhaitent protéger leurs frontières. La Hongrie et l'Italie appartiennent à ce dernier.
« La Hongrie a montré que nous pouvions arrêter les migrants qui arrivent par voie terrestre. Salvini a montré que les migrants pouvaient être stoppés en mer. Nous le remercions d'avoir protégé les frontières de l'Europe.
« Les migrants doivent être renvoyés dans leur pays. Bruxelles déclare que nous ne pouvons pas le faire. Ils ont également déclaré qu'il était impossible d'arrêter les migrants sur la terre ferme, mais nous l'avons fait.
« Salvini et moi, nous semblons partager le même destin. Il est mon héros. »
L'Allemagne et la France ont relevé le défi par une accélération de l'intégration européenne. Le 10 janvier, le Times de Londres a annoncé que Merkel et Macron s'apprêtaient à signer le « Traité d'Aix-la-Chapelle » qui « annoncera une nouvelle ère d'intégration » en « forgeant des politiques de défense, des politiques étrangère et économique communes dans un « jumelage sans précédent » qui se veut un prototype pour l'avenir de l'Union européenne ».
Selon le Times :
« Les régions situées de part et d'autre de la frontière franco-allemande seront encouragées à former des « Euro-communes » (Eurodistricts) mettant en commun les réseaux d'eau, d'électricité et de transports. Berlin et Paris offriront des subventions pour stimuler ces zones transfrontalières, partager les hôpitaux, monter des co-entreprises ou des projets environnementaux communs. Certains responsables considèrent ces expériences comme la boîte de Pétri de l'intégration au sein de l'UE.
« Les deux pays feront pression pour que l'Allemagne obtienne un siège permanent au conseil de sécurité des Nations unies, aux côtés de la France, des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie et de la Grande-Bretagne, alliés victorieux de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
« La France et l'Allemagne ont également l'intention de parler d'une seule voix à Bruxelles, d'élaborer des positions communes avant les sommets de l'Union européenne afin que le bloc européen s'affirme comme une puissance mondiale et joue un rôle plus décisif sur la scène internationale. Le traité affiche la volonté de la France et de l'Allemagne de défendre les valeurs du multilatéralisme à un moment où l'ordre libéral mondial est menacé. Le président Macron et Mme Merkel ont exprimé leur frustration face à la montée du populisme et du nationalisme et ont regretté les tergiversations de l'Europe sur le changement climatique et l'immigration....
« Un texte succinct sera signé le 22 janvier à Aix-la-Chapelle, l'ancienne ville thermale allemande située près des frontières de la Belgique et des Pays-Bas. Il devrait être ratifié le même jour par les deux parlements nationaux.
« Le choix d'Aix-la-Chapelle est lourd de symbole. Aachen ou Aix-la-Chapelle en français, était la capitale impériale des Francs sous Charlemagne mais elle est aussi cette ville qui a changé régulièrement de propriétaire, tantôt l'Allemagne tantôt la France.
« Des fuites concernant le nouveau traité d'Aix-la-Chapelle parlent « d'harmonisation » de la réglementation des entreprises et de coordination des politique économique entre les États, guidées par un conseil mixte d'experts.
« Le texte porte l'empreinte du désir de M. Macron d'utiliser le consensus franco-allemand pour que l'UE s'affirme en tant que puissance mondiale.
« Les deux gouvernements ont convenu d'organiser « des consultations régulières à tous les niveaux avant les grandes réunions européennes, en prenant soin d'établir des positions communes et de faire des déclarations communes ». Le texte ajoute : « Ils lutteront pour des politiques étrangère et de défense communes, fortes et efficaces et renforceront et approfondiront l'union économique et monétaire ».
« Il jette les bases d'un conseil de défense et de sécurité franco-allemand qui fera office de « groupe de pilotage politique », chaque partie influençant les décisions de l'autre (...) Sur le plan militaire, le traité énonce l'ambition de former une « culture commune et des projections en commun » à l'étranger ».
Le Traité d'Aix-la-Chapelle fait toutefois face à une opposition interne considérable dans les deux pays. En France, pays actuellement bousculé par le mouvement de protestation « gilet jaune », Marine Le Pen a rejeté le nouveau traité comme un diktat « déséquilibré » en faveur de l' Allemagne. Alexander Gauland, dirigeant du parti anti-migration de masse Alternative pour l'Allemagne, a évoqué lui, une « érosion de notre souveraineté nationale ».
La personnalité de Salvini divise toutefois l'AfD. Les hauts responsables de l'AfD ont félicité Salvini de ses positions en faveur de la souveraineté nationale et son opposition à la migration de masse, mais Alice Weidel, dirigeante de l'AfD au Bundestag, a vivement critiqué la gestion financière du gouvernement italien :
« Rome a accumulé une dette de près de 2 300 milliards d'euros. Les riches Italiens ont depuis longtemps transféré leurs avoirs à l'étranger ....
« Lorsque l'UE a rejeté le projet de budget de l'Italie, le ministre de l'Intérieur, Salvini, a déclaré : « Personne ne retirera même un euro de ce budget, pour le prendre dans les poches des Italiens ». Il semble oublier que l'Italie aurait été en faillite depuis longtemps sans l'aide de l'UE. Comment croire qu'il est possible de vendre aux Européens la mise à la retraite anticipée prochaine de 400 000 à 500 000 Italiens avec un revenu minimum et un impôt forfaitaire ? Ce sont les avantages d'un État providence auxquels d'autres États membres de l'UE n'osent même pas rêver.
« Le patrimoine médian des ménages italiens est de 240 000 euros, contre 66 000 en Allemagne. L'Italie amnistie les fraudeurs, reconnaît à peine l'impôt sur l'immobilier et perçoit un impôt sur les successions ridicule. Ce pays escompte la solidarité européenne ou espère que la Banque centrale européenne va annuler sa dette. L'Allemagne serait à nouveau le trésorier. Ils sont fous ces Romains ! »
Le chancelier autrichien Sebastian Kurz est sur la même ligne. Il a tweeté :
« Je ne comprends pas la proposition de budget que #Italie a soumise à #Bruxelles. Nous ne paierons certainement pas les #dettes ni les promesses électorales populistes des autres.
« Au moins, depuis la crise de la #Grèce, il est clair que le surendettement est dangereux. D'autant que ce sont les personnes économiquement faibles et les pauvres qui paient le prix fort de cette politique. Nous avons donc mis fin à la politique de dette de l'Autriche et avons signalé un excédent budgétaire à Bruxelles.
« Nous attendons du gouvernement italien qu'il se conforme aux règles existantes. Les critères de Maastricht s'appliquent à tous. »
En juillet 2018, Salvini a lancé l'idée d'un réseau paneuropéen de partis nationalistes, après que son parti Lega ait formé un gouvernement de coalition avec son ancien rival, le Mouvement 5 étoiles (M5S), un mouvement anti-establishment :
« Pour gagner nous devions unir l'Italie, maintenant nous devrons unir l'Europe. Je songe à une Ligue des Ligues d'Europe, rassemblant tous les mouvements libres et souverains qui veulent défendre leur peuple et leurs frontières. »
Salvini travaille aussi à un programme en dix points. Au cours d'une conférence de presse conjointe à Varsovie, Salvini a expliqué :
« J'ai proposé au dirigeant du PiS, Jarosław Kaczyński - et j'ai l'intention de le proposer à d'autres - un pacte pour l'Europe, un contrat avec des engagements spécifiques, une plate-forme en dix points inspirée du modèle du contrat signé en Italie. Cet accord nous permettrait de surmonter les différences entre les partis et les traditions géographiques et culturelles. Je voudrais monter une alliance commune de tous ceux qui veulent sauver l'Europe. Cet objectif doit être la priorité absolue du prochain Parlement européen ....
« Ce programme commun que nous allons proposer à d'autres partis et peuples d'Europe aura pour thèmes communs la croissance économique, la sécurité, la famille, les racines chrétiennes de l'Europe - thèmes que certains à Bruxelles ont nié ...
« Nous avons commencé un voyage d'idées au sein d'un Parlement européen qui sera différent du duopole socialiste-centre-droit qui a toujours gouverné l'Europe (...) La seule certitude que j'ai des élections européennes est que les socialistes et les communistes seront moins nombreux à Bruxelles - ils ont déjà fait assez de dégâts ....
« Si nous voulons changer l'UE, nous devons être ambitieux - voir grand. Notre objectif est d'être présents dans tous les pays européens et de travailler avec d'autres forces souverainistes ... Je sais qu'il existe un intérêt dans de nombreux pays pour le changement. Nous avons une opportunité historique : le temps est venu de remplacer l'axe franco-allemand par une alliance italo-polonaise. »
Soeren Kern est Senior Fellow du Gatestone Institute de New York.