Les migrants pratiquent désormais l'attaque de masse contre les clôtures frontalières des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Leur but est de submerger la police des frontières. Au cours des 18 derniers mois, des milliers de migrants équipés de gants, de chaussures à crampons et de crochets de fortune sont partis à l'assaut des clôtures. Photo : la barrière qui sépare le Maroc de Ceuta, une enclave espagnole en Afrique du Nord. (Photo par Jorge Guerrero / AFP via Getty Images) |
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a jugé que l'Espagne avait agi on ne peut plus légalement en expulsant sommairement deux migrants qui avaient franchi illégalement sa frontière. Cet arrêt historique est de nature à rebattre les cartes de la politique d'immigration en Europe
Le tribunal de Strasbourg qui a compétence dans 47 pays européens et dont les décisions obligent les 27 États membres de l'Union européenne, a jugé que les droits de l'homme ne s'appliquent aux migrants - accès à un avocat, à un interprète et le droit de rester en Europe - que s'ils ont pénétré légalement en territoire européen.
La légalisation des expulsions sommaires de migrants illégaux confère à nouveau aux États-nations européens un pouvoir de décision en matière d'immigration. Tous ceux qui défendent la souveraineté des États-nations et leur droit de décider qui est autorisé ou non à résider sur leur territoire considèrent cette décision comme une victoire majeure.
Le cas espagnol remonte à 2014. En août de cette année-là, des centaines de migrants en provenance d'Afrique subsaharienne ont pris d'assaut la barrière frontalière de Melilla, une enclave espagnole en Afrique du Nord. Après avoir passé plusieurs heures au sommet de la clôture, deux hommes, un Ivoirien et un Malien, ont fini par redescendre côté espagnol. Ils ont alors été menottés par la police des frontières espagnole et remis aux autorités marocaines.
Les deux Africains ont déclaré qu'ils n'ont pas eu la possibilité de plaider leur cas et qu'ils ont été privés d'avocats et d'interprètes. En février 2015, avec l'aide d'avocats spécialisés dans les droits de l'homme, les deux hommes ont porté leur affaire devant la CEDH.
En octobre 2017, la CEDH a jugé qu'une expulsion sommaire avait été effectuée en violation du droit européen. Pour n'avoir pas vérifié l'identité des migrants et les avoir privés d'avocat, de traducteur et d'accès à du personnel médical, la Cour a condamné l'Espagne à indemniser les deux migrants à hauteur de 5 000 € chacun. En décembre 2017, le précédent gouvernement de centre-droit espagnol a fait appel de la décision.
Le 13 février 2020, la CEDH est revenue, à l'unanimité, sur son arrêt précédent. Dans un communiqué, la Cour a considéré que :
« en tentant, le 13 août 2014, de franchir les barrières de protection des frontières de Melilla afin d'entrer en Espagne, au sein d'un groupe important et dans un lieu non autorisé, en profitant du nombre et en ayant recours à la force, les requérants se sont placés délibérément hors-la-loi. Ils ont fait le choix de ne pas recourir aux procédures en vigueur pour pénétrer légalement en territoire espagnol. En conséquence, la Cour a estimé que l'absence d'une décision d'expulsion individuelle des requérants était attribuable au fait que lesdits requérants n'ont pas fait usage des procédures officielles d'entrée qui sont en vigueur, et que leur propre comportement en est la cause.
« L'absence d'une procédure individuelle d'expulsion étant attribuable au seul comportement des requérants, la Cour a estimé que l'État défendeur ne pouvait être tenu pour responsable qu'un recours judiciaire défaillant à Melilla ne leur ait pas permis de contester cette expulsion. »
La CEDH a ajouté que les deux hommes auraient pu demander un visa, ou une protection internationale, à un poste frontière officiel, dans une ambassade ou un consulat espagnol, au Maroc ou dans leur pays d'origine.
La décision de la CEDH a indigné les associations de défense des droits de l'homme et autres partisans d'une migration de masse incontrôlée vers l'Europe. Amnesty International, dans un communiqué, a déclaré :
« Le jugement rendu aujourd'hui est très décevant. A peine entrés en Espagne, deux hommes ont été reconduits au Maroc, sans aucune possibilité d'expliquer leur situation, de demander l'asile ou de faire appel de leur expulsion.
« Que la Cour ait justifié les agissements de l'Espagne parce que les deux hommes sont entrés irrégulièrement dans le pays, est un coup porté aux réfugiés et aux droits des migrants. Chacun doit avoir accès aux procédures d'asile et doit pouvoir faire appel d'une décision, indépendamment de la manière dont il est entré dans le pays où il souhaite chercher refuge. »
Wolfgang Kaleck, secrétaire général du Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme, a déclaré que la décision de la CEDH serait perçue comme une « carte blanche » donnée à toutes les expulsions sommaires d'Europe :
« Les refoulements à la frontière avec le Maroc sont une pratique espagnole de longue date et deviendront un modèle pour les États situés aux frontières terrestres extérieures de l'Union européenne. »
Sur Verfassungsblog, un blog de droit constitutionnel, l'avocat espagnol Carlos Oviedo Moreno, a accusé la CEDH de racisme :
« La CEDH ... établit une distinction entre l'entrée légale et illégale sur le territoire d'un État et en fait le critère déterminant de l'application de la Convention européenne des droits de l'homme ...
« Un tel raisonnement a pour conséquence de perpétuer les frontières comme des lieux de non-droit pour des groupes très précis : les migrants (noirs), les populations des pays du Sud, la minorité indésirable exclue des avantages d'une libre circulation mondiale reconnue à tous les autres."
D'autres ont salué la décision de la CEDH. « Les frontières doivent être défendues », a déclaré le maire-président de Melilla, Eduardo de Castro, du parti libertarien Ciudadanos (Citoyens). « Les pays doivent défendre leur souveraineté et leur territoire. »
Les élus de Ceuta, une autre enclave espagnole en Afrique du Nord, ont également salué la décision de la CEDH. Alberto Gaitán, porte-parole du gouvernement de Ceuta, dirigé par le Parti populaire de centre-droit, a déclaré :
« La décision protège notre droit et notre obligation de préserver et de défendre l'intégrité et l'inviolabilité de notre frontière ainsi que les actions de notre police des frontières et de notre police nationale, qui ont droit à tout notre respect, notre appui et notre soutien. »
Teresa López, députée de Ceuta pour le parti conservateur Vox, troisième parti d'Espagne, a ajouté :
« La CEDH a fait preuve de bon sens en se rangeant du côté des partisans de frontières clairement définies qui sont une condition essentielle à la stabilité des États. La Cour a produit une réponse de bon sens aux agressions massives, collectives et violentes menées contre les frontières de Ceuta et Melilla par des assaillants qui optent consciemment et délibérément pour l'illégalité.
« En réalité, les soi-disant expulsions sommaires sont un moyen légal et proportionnel à la disposition des pays pour qu'ils défendent leurs frontières et leur population. Depuis sa création, Vox a demandé que des policiers et des gardes-frontières espagnols soient équipés de tous les moyens matériels et légaux pour protéger les frontières de l'Espagne. »
Le porte-parole du groupe parlementaire Vox, Iván Espinosa de los Monteros, a qualifié la décision de « victoire pour l'Espagne et pour l'Etat de droit ». Il a ajouté :
« La décision de la CEDH détermine qu'un État-nation a le droit de défendre ses frontières. Quand quelqu'un viole une frontière, un État-nation a le droit de renvoyer cette personne vers son lieu d'origine le plus rapidement possible. »
Il est évidemment trop tôt pour savoir si la décision de la CEDH aura un effet dissuasif sur les migrants, sur l'extrême violence de leurs tentatives, sur leurs attaques de masse destinées à submerger les policiers chargés de défendre les barrières frontalières de Ceuta et Melilla. Au cours des 18 derniers mois, des milliers de migrants équipés de gants, de chaussures à crampons et de crochets de fortune ont tenté d'escalader les clôtures. Les incidents notables les plus récents sont :
- 26 juillet 2018. Au moins 800 migrants d'Afrique subsaharienne ont tenté d'escalader la clôture de Ceuta. Au total, 602 ont réussi à entrer en territoire espagnol. Les migrants ont utilisé une violence sans précédent blessant onze policiers espagnols à coup de chaux vive, de lance-flammes artisanaux, de bâtons et autres objets tranchants, sans oublier les jets d'urine et d'excréments.
- 22 août 2018. Profitant d'une fête musulmane et donc d'une moindre présence policière du côté marocain de la frontière, 119 migrants ont réussi à escalader la clôture de Ceuta.
- Octobre 2018. Plus de 300 migrants ont tenté de franchir la clôture de Melilla ; 200 d'entre eux, pour la plupart originaires d'Afrique subsaharienne, ont pénétré avec succès en territoire espagnol.
- 12 mai 2019. Plus de 100 migrants, principalement originaires du Cameroun, de Côte d'Ivoire et du Mali, ont tenté d'escalader la clôture de Melilla ; 52 d'entre eux ont pénétré avec succès sur le territoire espagnol.
- 30 août 2019. Plus de 400 migrants ont tenté d'escalader la clôture à Ceuta; 155 d'entre eux, originaires d'Afrique subsaharienne, sont entrés avec succès en territoire espagnol.
- 19 septembre 2019. Au moins 60 migrants ont tenté d'escalader la clôture de Melilla; 26 d'entre eux, principalement originaires d'Afrique subsaharienne, ont réussi.
- 18 novembre 2019. Un passeur dont le camion transportait 52 migrants - 34 hommes, 16 femmes et deux enfants - a enfoncé à toute vitesse la barrière frontière de Ceuta. Le conducteur, un Marocain de 38 ans résidant en France, a été arrêté à plus d'un kilomètre du territoire espagnol. Les migrants, qui prétendaient être originaires du Congo, de Guinée et de la Côte d'Ivoire, ont été emmenés dans une installation de traitement des migrants à Ceuta.
- 19 janvier 2020. Plus de 250 migrants ont tenté d'escalader la clôture à Ceuta; deux douzaines de migrants et de policiers ont été blessés.
La coalition socialo-communiste actuellement au pouvoir en Espagne, a récemment pris la décision de retirer les barbelés tranchants connus sous le nom concertina qui contribuaient au caractère hermétique de la frontière hispano-marocaine. Le gouvernement a estimé qu'un retrait s'imposait compte tenu des blessures que le concertina infligeait aux migrants illégaux.
La police et les patrouilles des frontières ont regretté l'enlèvement du barbelé concertina, estimant que la frontière allait devenir plus vulnérable encore aux incursions de masse.
Le leader de Vox, Santiago Abascal, a déclaré que le plan du gouvernement faisait partie d'un effort plus large visant à saper la souveraineté nationale au moyen d'une migration de masse mondialiste. Il a appelé à remplacer les clôtures par des murs en béton pour mieux sécuriser la frontière :
« Les frontières de Ceuta et Melilla sont violées en permanence par des hordes de migrants. Nous allons proposer une réforme qui permettra l'expulsion immédiate d'un migrant dont les papiers ne seraient pas en règle. Seul un mur de béton suffisamment haut donnera aux forces de sécurité les moyens de contrôler la frontière. »
Le porte-parole parlementaire de Vox, Iván Espinosa de los Monteros, a accusé le gouvernement socialiste d'encourager l'immigration de masse. « Nous ne sommes pas contre l'immigration », a-t-il déclaré à la télévision publique espagnole. « Nous ne sommes même pas contre les immigrants illégaux. Ce n'est pas de leur faute si un gouvernement irresponsable leur fait miroiter la possibilité d'entrer en Espagne illégalement. »
Soeren Kern est Senior Fellow du Gatestone Institute de New York.