Il y a neuf mois, Angela Merkel et Mark Zuckerberg ont essayé de résoudre la crise des migrants en Europe. Bien sûr, reconnaître que la crise des migrants a été provoquée par une politique de portes ouvertes à l'ensemble de la population du tiers monde, aurait été, notamment pour Angela Merkel, une bonne manière de poser le problème.
Mais la chancelière allemande n'a montré aucun intérêt pour le renforcement des frontières extérieures de l'Europe, le rétablissement des frontières nationales, un meilleur système de vérification des dossiers de demande d'asile et l'expulsion des personnes qui ont menti pour entrer en Europe. Merkel n'était intéressée que par Facebook.
Assise à côté de Mark Zuckerberg, Mme Merkel voulait savoir comment le fondateur de Facebook pouvait l'aider à réduire la liberté d'expression des Européens sur Facebook et les autres médias sociaux. A l'occasion d'un aparté avec Zuckerberg lors d'un sommet des Nations Unies (et ignorant que les micros étaient ouverts), elle lui a demandé comment empêcher les critiques de s'exprimer sur sa politique migratoire. « Vous vous en occupez » a-t-elle demandé ? « Ouais », a répondu Zuckerberg.
Dans les mois qui ont suivi, nous avons pu constater que cette conversation n'avait rien d'un bavardage d'après déjeuner. En janvier, Facebook a lancé son « Initiative pour le courage civique en ligne », avec une dotation d'un million d'euros pour financer des organisations non gouvernementales capables de contrer les messages « racistes » et « xénophobes » en ligne. Facebook a également promis de supprimer les « discours de haine » et toute expression « xénophobe » sur Facebook.
Mais sur ces questions, le problème « définitionnel » et les partis pris politiques de Facebook apparaissent clairement. Comment Facebook définit-il le « racisme » ? Quelle est sa définition de la « xénophobie » ? A partir de là, quelle peut bien être sa définition du « discours de haine » ? Concernant les partis pris politiques, pourquoi Facebook n'a-t-il pas effacé les prises de position des « open border » qui réclament que l'Europe soit ouverte à quiconque souhaite y vivre ? Pourquoi les auteurs de ces points de vue (et ils sont nombreux) n'ont-ils pas été censurés et leurs posts supprimés ? De tels points de vue n'auraient-ils rien d'extrémistes ?
Un des problèmes touchant à cet ensemble de questions – et qui n'a semble-t-il pas effleuré Facebook – est que les réponses peuvent varier d'un pays à l'autre. N'importe quel politologue sait que les lois qui s'appliquent à un pays ne s'appliquent pas – et souvent ne doivent pas – s'appliquer à d'autres. Contrairement à l'opinion de nombreux « progressistes » transnationaux, le monde ne dispose pas d'un ensemble de lois universelles et encore moins de coutumes universelles. Les lois contre le discours de haine relèvent dans une très large mesure du domaine des us et coutumes.
Il serait donc malavisé d'appliquer à un pays les lois d'un autre sans étude préalable approfondie des lois et traditions de ce pays. Chaque société a une histoire singulière et des attitudes propres sur les questions les plus sensibles. Ainsi, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas et d'autres pays européens, il existe des lois relatives à la publication de documents nazis, à l'apologie (voire même la simple représentation) d'Adolf Hitler ou la négation de l'Holocauste. Les lois allemandes qui interdisent toute reproduction photographique d'Adolf Hitler peuvent paraître ridicule à Londres, mais le sont beaucoup moins vues de Berlin. Et il faudrait que le Londonien soit vraiment très sûr de lui pour prescrire une modification radicale et unilatérale de la loi allemande.
Pour comprendre les interdits– et ceux susceptibles de le devenir – au sein d'une société donnée, il faut une grande confiance en sa capacité d'appréhender les tabous et l'histoire de ce pays ainsi que les codes de la parole et les lois régissant la liberté d'expression. Interdire la vénération d'idoles communistes peut sembler raisonnable, de bon goût et même souhaitable dans l'un des nombreux pays qui ont eu à souffrir du communisme, qui souhaitent apaiser la douleur des victimes et prévenir le retour de pareilles idéologies. Une interdiction universelle des images et textes qui exaltent les assassins communistes de dizaines de millions de personnes, aurait pour conséquence de criminaliser le comportement de milliers d'Occidentaux - notamment Américains - qui aiment porter un T-shirt orné du visage de Che Guevara ou qui perpétuent la croyance adolescente que Fidel Castro est une icône de la liberté. Toutes les sociétés libres doivent permettre l'expression du plus large éventail possible d'opinions. Mais elles auront chacune une idée différente de la frontière qui existe entre une expression légitime et une incitation.
Que Facebook et d'autres tentent d'élaborer une politique unilatérale de lutte contre le discours de haine passerait pour seulement présomptueux, s'il n'y avait – et il y a – un parti pris clairement énoncé dès le départ. Il est donc particulièrement lamentable que ce mouvement de lutte contre le discours de haine ait subi un renfort particulier, le 31 mai dernier, quand l'Union européenne a annoncé qu'un code de conduite vis-à-vis du discours de haine serait confié à quatre entreprises du secteur des technologies de l'information, dont Facebook et YouTube. A l'évidence, l'Union européenne est un gouvernement –non élu qui plus est – et sa volonté, non pas d'éviter d'avoir à répondre aux critiques – mais de les criminaliser et d'interdire toute expression dissidente – est à mettre sur le même plan que le gouvernement d'un pays qui interdit et criminalise toute opinion qui ne flagorne pas les dirigeants.
Ces questions n'ont rien d'abstrait et nous touchent tous de près comme l'a prouvé- cette preuve était-elle nécessaire ? – la décision de Facebook de suspendre le compte d'Ingrid Carlqvist, l'expert suédois de Gatestone. Au cours de l'année dernière, la population suédoise s'est accrue de 1 à 2%. Un taux d'accroissement similaire est attendu cette année. Toute personne qui se penche sur cette société comprend vite que son modèle d'origine est en passe de se fracturer, fracture causée (c'est l'interprétation la plus douce) par son « libéralisme au grand cœur ». Des pays bâtis sur le modèle de l'Etat providence ne peuvent accueillir un tel excès de population sans subir de fortes contraintes financières. Et les sociétés qui n'ont aucune expérience historique de l'intégration ne peuvent assimiler d'importants flux d'immigrants qui arrivent à jets continus. Comme n'importe quel voyageur qui se rend en Suède peut le constater, ce pays est sous pression, et cette pression va croissant.
La phase d'éveil à un tel changement passe par un déni. L'UE, le gouvernement suédois et une grande majorité de la presse suédoise n'ont aucun désir d'entendre les critiques que soulève une politique qu'ils ont mise en place ou encouragée ; les conséquences se feront un jour sentir à leur porte mais ils souhaitent reporter son avènement, indéfiniment si possible. Ainsi, au lieu de combattre l'incendie, ils ont entrepris d'attaquer ceux qui les accusent d'être des incendiaires. Dans une telle situation, c'est non seulement un droit, mais aussi un devoir de personnes libres de signaler les faits, même si d'autres personnes pourraient ne pas vouloir les entendre. Seul un pays glissant vers l'autocratie et le chaos, doté d'une classe dirigeante qui fuit toute responsabilité, peut entreprendre de réduire au silence les quelques personnes qui annoncent la catastrophe en train de se produire.
Les gens doivent prendre la parole – maintenant et vite – en faveur de la liberté d'expression avant que ce droit ne leur soit retiré définitivement, ils doivent soutenir des journalistes comme Ingrid Carlqvist et dénoncer ces pouvoirs qui aimeraient nous réduire au silence. Il n'est malheureusement pas exagéré d'affirmer que notre avenir tout entier en dépend.
Douglas Murray est analyste des événements courants et commentateur basé à Londres.